Dans les Alpes-Maritimes, Eric Ciotti porte plainte contre les citoyens de la Roya, solidaires des migrants
Dans les Alpes-Maritimes, Eric Ciotti porte plainte contre les citoyens de la Roya, solidaires des migrants
Par Maryline Baumard
Alors que des citoyens solidaires des migrants sont déjà poursuivis, Eric Ciotti, président du conseil départemental les assimile à une filière d’immigration.
Huit réfugiés quittent la résidence de Cédric Herrou, à Breil-sur-Roya, où ils ont été hébergés pendant plusieurs jours, le 21 novembre 2016. | SINAWI MEDINE POUR « LE MONDE »
Dans la vallée de la Roya l’hiver s’est invité pour de vrai ce week-end, avec son froid et ses enfants oubliés qui dorment sous des toiles de tente. A Breil-sur-Roya, premier village d’entrée en France lorsqu’on quitte à pied Vintimille, dernière ville italienne, les migrants arrivent toujours, en dépit des dangers de la montagne en hiver. Samedi 3 décembre, Cédric Herrou, un paysan du lieu héberge encore une douzaine de mineurs, oubliés des autorités du pays.
Vendredi soir, la guerre larvée que se livrent les autorités locales et les citoyens de la vallée a franchi une nouvelle étape. Le président du conseil départemental des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti, a annoncé qu’il venait de signaler à la justice l’organisation, par « une poignée d’activistes », du « passage clandestin d’étrangers à la frontière franco-italienne », écrivait-il dans un communiqué.
La veille, 257 citoyens de la Roya, membres de l’association Roya citoyenne, avaient déposé une plainte contre X visant les autorités françaises, pour « délaissement de mineurs isolés étrangers ». Ils estiment en effet que les autorités départementales refusent de prendre en charge les enfants migrants qui échouent là après un dangereux périple à travers l’Afrique et l’Italie. Selon cette association, des mineurs étrangers qui auraient dû être placés en foyer ont au contraire été refoulés vers l’Italie, et cela constitue, selon elle, une infraction de « délaissement d’une personne hors d’état de se protéger ».
De l’intérêt supérieur de l’enfant
La frontière italienne est donc désormais devenue un échiquier sur lequel s’opposent par justice interposée deux regards antagonistes sur « l’intérêt supérieur de l’enfant », concept qui devrait prévaloir pour gérer la prise en charge de ces adolescents perdus…
Quand le chien de l’agriculteur aboie en pleine nuit, Cédric Herrou sait en effet que des migrants s’écroulent épuisés autour des cendres encore chaudes au milieu de son jardin. le néorural tient une petite ferme à l’entrée du village de Breil, non loin de la voie ferrée que les migrants suivent pour venir d’Italie. Ils arrivent donc chez lui, en hypothermie, après au moins six heures d’une marche nocturne. La galère commence alors pour M. Herrou, qui voudrait bien pouvoir se concentrer sur son élevage de poules et sa cueillette annuelle d’olives, mais ne se sent pas de laisser ces jeunes garçons sans aide. Cédric Herrou rêve en effet que ces mineurs, essentiellement érythréens, dorment au chaud, pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. Ce qui n’est pas vraiment le cas, comme le dénoncent les habitants solidaires des migrants.
En vertu des décisions prises au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 de réinstaurer des points de contrôle frontaliers, les autorités françaises déploient beaucoup de zèle pour stopper les migrants dans la bande de 20 kilomètres qui jouxte la frontière, afin de pouvoir les renvoyer directement en Italie, en vertu des accords bilatéraux.
Les citoyens de la Roya, qui entendent les arguments de ces jeunes mandatés par leur famille pour atteindre un but précis – rejoindre un membre de leur famille –, demandent que l’aide à l’enfance se charge d’eux. Ils aident parfois les majeurs et les familles à quitter ce cul-de-sac qu’est leur vallée, pour qu’ils puissent continuer leur voyage. Pour cela, ils déposent les adultes dans des gares éloignées de la bande des 20 kilomètres, leur permettant de continuer leur route.
Hors la loi
Pour le député Les républicains, qui agit sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale, « les agissements de ces individus » correspondent « à une aide au séjour irrégulier d’étrangers constitutive d’une infraction à la loi ». L’élu qualifie de « passeurs » ces citoyens, qui, eux, se disent solidaires de cette détresse humaine. Pour M. Ciotti, « les mineurs sont les premières victimes de ces filières ». Il demande donc au ministère de l’intérieur de « traquer, sans aucune complaisance, ceux qui exploitent la détresse humaine ».
Cédric Herrou est déjà poursuivi pour avoir apporté de l’aide, comme une poignée d’autres citoyens proches de l’association Roya citoyenne. A la fin de novembre, un universitaire avait été condamné à une peine de prison avec sursis pour avoir emmené dans son véhicule des jeunes Erythréennes qui avaient un rendez-vous médical à Marseille. M. Ciotti affirme que « la loi de la République doit s’appliquer dans la vallée de la Roya » et demande que ce principal point de passage vers la France des migrants venus d’Italie n’évolue pas « vers une zone de non-droit gérée par des individus hors la loi aveuglés par l’idéologie de la mouvance d’extrême gauche ».
Selon les chiffres de la préfecture, plus de 33 000 étrangers en séjour irrégulier ont été interpellés depuis janvier, plus que sur toute l’année 2015 (27 000). Quelque 1 500 mineurs isolés étrangers avaient été pris en charge l’an dernier, contre seulement 348 à ce jour en 2016.
Dans la vallée de la Roya, des images de solidarité avec les réfugiés