L’Australie et le Canada, deux sociétés multiculturelles à l’immigration choisie
L’Australie et le Canada, deux sociétés multiculturelles à l’immigration choisie
Par Caroline Taïx (Sydney, correspondance), Anne Pélouas (Montréal, correspondance)
Alors que la gestion des réfugiés est le défi de ces prochaines années, ces deux pays, qui ont mis en place des modèles d’immigration basés sur des systèmes de points, sont cités en exemple.
Le système d’immigration australien, un modèle à suivre ? Donald Trump l’a cité en exemple, avec le système canadien, lors de son premier discours devant le Congrès, mardi 28 février. Il a vanté une immigration « basée sur le mérite », qui donne la priorité aux migrants qualifiés. Avant le président américain, les partisans du Brexit avaient déjà appelé à s’inspirer de l’Australie. Marine Le Pen a, elle aussi, plusieurs fois mis en avant l’exemple australien, en particulier concernant le traitement des clandestins et des demandeurs d’asile.
Michael Snell, 74 ans, a immigré du comté de Gloucestershire (Angleterre) en Australie en 1950. | Tim Wimborne / Reuters
Le choix de l’immigration qualifiée en Australie
L’Australie est l’un des pays les plus multiculturels du monde. Plus de 28 % de ses 24 millions d’habitants sont nés à l’étranger. Ce pourcentage est au plus haut depuis cent vingt ans, selon le bureau australien de la statistique (ABS). Pour le premier ministre, Malcolm Turnbull, « l’Australie est la société multiculturelle qui connaît le plus de succès dans le monde ».
Le poids de l’immigration qualifiée n’a cessé d’augmenter depuis les années 1980 : 68 % des immigrés rentraient dans cette catégorie en 2016 (les 32 % restants sont arrivés dans le cadre du regroupement familial). C’est précisément cette immigration qualifiée que Donald Trump a mise en avant dans son premier discours de politique générale. L’objectif pour l’Australie est de combler des vides dans la population active et d’attirer des travailleurs hautement qualifiés pour renforcer l’économie.
Ces migrants passent par un système à points, qui sert à évaluer leur niveau d’anglais, leurs diplômes, leurs expériences professionnelles, etc. Les ingénieurs et les personnes travaillant dans les technologies de l’information sont particulièrement recherchés. L’âge est également un élément essentiel, les jeunes actifs entre 25 ans et 35 ans ayant la priorité. Des migrants moins qualifiés peuvent également venir en Australie, mais plutôt avec des visas temporaires.
Des études montrent que la plupart des Australiens ont une opinion positive de l’immigration. Mais des élus anti-immigration pèsent de plus en plus dans le paysage politique. Ainsi, le parti One Nation, qui détient quatre sièges au Sénat, veut « abolir le multiculturalisme ». Celui-ci a « échoué », selon ce parti d’extrême droite, qui s’inquiète de « la destruction de la culture australienne ». Les musulmans sont les premières cibles de groupes racistes australiens.
Près de 14 000 réfugiés par an
Outre les 190 000 visas permanents, l’Australie accueille près de 14 000 réfugiés par an. Ce chiffre devrait passer à 18 750 en 2018-2019. Or, la question des réfugiés est l’une des plus controversées en Australie. Elle lui vaut de sévères critiques dans le monde, notamment de l’ONU, mais aussi des louanges des partis d’extrême droite européens.
Canberra a l’une des politiques les plus dures du monde envers les clandestins : ceux qui tentent de rejoindre ses côtes par bateaux sont interceptés, envoyés hors des eaux australiennes ou placés dans des centres offshore, sur l’île Manus (Papouasie-Nouvelle-Guinée) ou à Nauru. Les conditions de vie sur place font régulièrement les gros titres de l’actualité, après des agressions, des sévices, des suicides, etc.
Manifestation de Refugee Action Coalition contre les centres offshore sur les îles Manus (Papouasie-Nouvelle-Guinée) et Nauru. | DAVID GRAY / REUTERS
Que ces migrants fuient les conflits meurtriers du Moyen-Orient ou des persécutions religieuses ne change rien. Et qu’ils soient réfugiés ou non, ces migrants ne seront jamais autorisés à mettre les pieds en Australie, promet Canberra.
A en croire des sources proches du gouvernement, ce contrôle des frontières permet à l’Australie d’accueillir un nombre important d’immigrés venus légalement. « Les Australiens savent que leurs frontières sont protégées. Ils nous font confiance », explique-t-on à Canberra. Mais pour les ONG comme le Refugee Council, le sort réservé à ces réfugiés est « une énorme tache pour la réputation de l’Australie ».
Si Donald Trump vante l’immigration choisie à l’australienne, il ne veut pas entendre parler de ces réfugiés rejetés par Canberra. Un accord signé, alors que Barack Obama était encore à la Maison Blanche, prévoyait d’envoyer jusqu’à 1 600 d’entre eux aux Etats-Unis. Mais Donald Trump a qualifié, début février, l’accord de « stupide » dans une conversation téléphonique dont le contenu a fuité dans les médias. Il a même accusé l’Australie, ce fidèle allié, de vouloir lui envoyer des terroristes.
« Compassion et opportunités économiques » du Canada
De son côté, le Canada n’a pas tout à fait comme Donald Trump le pense « un système d’immigration basé sur le mérite ». II a plutôt, aux dires même du premier ministre canadien, Justin Trudeau, une politique migratoire ayant « pour piliers la compassion et les opportunités économiques ». Il ouvre largement ses portes pour des raisons humanitaires mais exerce aussi un contrôle serré des candidatures à l’immigration, pour sélectionner ceux qui peuvent contribuer au développement économique du pays.
Terre traditionnelle d’immigration, avec un cinquième de sa population née à l’étranger, le Canada adopte chaque année un « plan des niveaux d’immigration » fixant un quota à atteindre… et à ne pas dépasser. Pour 2017, il prévoit ainsi d’accueillir 300 000 personnes, soit autant qu’en 2016, année record dans l’histoire du pays, qui compte plus de 36 millions d’habitants. De 2011 à 2015, le Canada avait reçu en moyenne 260 000 immigrants par an.
John McCallum, qui vient de quitter son poste de ministre de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté, estimait que « l’immigration joue un rôle important dans le maintien de la compétitivité du Canada dans l’économie mondiale », tout en compensant le vieillissement de la population. Autrement dit, le pays a toujours besoin de bras et de cerveaux pour faire tourner son économie, surtout avec un taux de chômage à moins de 7 %, un taux de natalité faible et de nombreux baby-boomeurs qui partent à la retraite.
Remettre à l’honneur la tradition humanitaire
La politique migratoire canadienne s’articule concrètement autour de différentes catégories d’immigrants. Il y a celle du regroupement familial, des réfugiés et d’autres personnes admises en vertu de programmes humanitaires, qui représente, bon an mal an, 35 % du total, et la catégorie économique, avec près de deux tiers des personnes admises dans le pays.
En 2017, 40 000 réfugiés et 84 000 personnes ayant de la famille au Canada devraient être du nombre dans la première catégorie. M. Trudeau n’avait pas caché avant son élection, fin 2015, vouloir remettre à l’honneur la tradition humanitaire du Canada, battue en brèche sous le règne du conservateur Stephen Harper, lequel avait beaucoup réduit les quotas de réfugiés.
Un agent de la Royal Canadian Mounted Police ajuste la veste de la fille d’une famille de quatre personnes arrivée illégalement au Canada, près de Hemmingford, au Québec, le 28 février. | GEOFF ROBINS / AFP
Dans un premier geste d’éclat, le premier ministre avait décidé de faire venir 25 000 réfugiés syriens dans un court laps de temps en 2016. Finalement, ce sont 30 000 Syriens parrainés par le gouvernement mais surtout par des organismes privés, des associations ou des individus qui sont arrivés au Canada l’an passé.
Le 21 février, le nouveau ministre de l’immigration, Ahmed Hussen a annoncé un nouveau geste humanitaire pour 2017, cette fois en faveur de 1 200 membres de la minorité yézidie en Irak, victime de violences répétées, frôlant le génocide, de la part de l’organisation Etat islamique.
Priorité au regroupement familial
La réunification familiale est une autre voie royale pour venir s’installer au Canada, en étant parrainé par un parent ou un enfant. Le gouvernement conservateur avait toutefois fortement resserré les critères d’admissibilité à ce programme en 2014 et diminué le quota annuel, invoquant le fait qu’il fallait d’abord traiter les demandes en attente depuis plusieurs années. Le nouveau gouvernement libéral a renversé la vapeur. Il a fait du regroupement familial « une priorité importante », affirmant que « l’intégration des nouveaux arrivants au Canada, ainsi que leur capacité à travailler et à contribuer à leur collectivité, est favorisée lorsque les familles sont réunies ».
Mais n’entre pas qui veut au Canada. Tous les immigrants potentiels sont en effet sélectionnés à partir d’un système de points à la suite d’une évaluation très élaborée de leurs compétences, de leurs expériences professionnelles, de leurs niveaux d’éducation et de la connaissance ou non des deux langues officielles du Canada, l’anglais et le français. Au Québec, les candidats francophones sont privilégiés. L’âge et la promesse d’un recrutement entrent aussi en ligne de compte. L’idée est de repérer et de privilégier ceux qui auront les meilleures chances de s’intégrer au marché du travail et dans la société canadienne.
La sélection par points est cruciale dans la « catégorie économique » du système, dont devraient profiter 172 500 étrangers cette année. Elle regroupe notamment les travailleurs qualifiés, les gens d’affaires immigrants et ceux qui ont déjà une « expérience canadienne ». Tel est le cas de nombreux étrangers admis auparavant comme travailleurs temporaires qualifiés ou étudiants internationaux, auxquels le Canada peut accorder le statut de résident permanent.
Dans les secteurs d’emploi en manque de main-d’œuvre, l’entrée sera toujours facilitée au Canada, mais, en revanche, dans celles qui sont déjà saturées, les candidats ont peu de chances de franchir la barre de la sélection.