L’Arafer étrille le plan d’investissement de la SNCF
L’Arafer étrille le plan d’investissement de la SNCF
LE MONDE ECONOMIE
Le gendarme du rail a rendu jeudi un avis très sévère sur le contrat de performance passé avec l’Etat.
Infographie Le Monde
C’était la loi de programmation qui devait sauver le réseau ferré français. Le projet de « contrat de performance entre l’Etat et SNCF Réseau », approuvé le 20 décembre 2016 par l’établissement ferroviaire, était le plan décennal tant attendu par le secteur. Un objectif chiffré de 46 milliards d’euros d’investissements entre 2017 et 2026 pour remettre la SNCF sur les rails, et son réseau en bon état après des années de maintenance déficiente et de grande vitesse dominante.
L’Etat et la société nationale étaient enfin arrivés à se mettre d’accord sur une vision de long terme, comme prévu dans la grande loi de 2014 portant réforme ferroviaire, et qui avait réorganisé la SNCF en un triptyque : un établissement de tête chapeautant deux entités, SNCF Mobilités, gestionnaire des trains, et SNCF Réseau, gestionnaire des rails.
Il restait un troisième larron à convaincre de la pertinence de ce contrat : l’autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’Arafer, chargée justement par la loi de rendre un avis préalable (non contraignant juridiquement) avant que le texte ne soit transmis au Parlement. C’est précisément ce que vient de faire le gendarme du rail, jeudi 30 mars. Et, après avoir bien pris le temps d’étudier le dossier (l’Arafer a été saisie du dossier il y a plus trois mois), l’institution indépendante remet tout le dispositif en cause.
« Absence d’engagements crédibles »
« Manque d’indicateurs de performance, maîtrise des coûts non garantie, orientations tarifaires à revoir, trajectoire financière irréaliste, engagements flous… » L’avis que l’autorité pose sur la place publique est pour le moins tranché. Au fond, l’Arafer, dirigée depuis cet été par l’ancien député socialiste du Nord, Bernard Roman, reproche une insuffisance de rigueur dans l’établissement de ce plan, mal préparé, sans concertation réelle, sans vraie consultation préalable.
Le projet « manque les objectifs fixés par la loi de réforme ferroviaire », écrit l’Arafer dans ses conclusions, à savoir constituer une feuille de route contraignante, donner aux opérateurs ferroviaires de la visibilité et assurer le redressement financier de SNCF Réseau. « Le régulateur souligne l’absence d’engagements crédibles des deux parties contractantes, poursuit l’autorité, ce qui prive le secteur ferroviaire d’une indispensable vision de long terme, notamment dans la perspective de la prochaine ouverture du marché domestique à la concurrence. » En résumé, copie à revoir !
Il y a bien çà et là quelques satisfecit dans les 30 pages d’avis. A commencer par la « réorientation pertinente des priorités dans la gestion du réseau ». L’Arafer salue en effet le choix de donner la priorité au réseau dit « structurant », là où circulent le plus de trains, et pour lequel l’Etat prévoit d’investir 28 milliards d’euros sur l’enveloppe globale de presque 50 milliards d’effort financier. « Un des points positifs de cet avis est qu’il valide notre stratégie industrielle », confirme Patrick Jeantet, PDG de SNCF Réseau. Prenant acte des critiques de l’Arafer, il estime toutefois que le contrat donne « une véritable visibilité financière » aux futurs investissements. « Je soumettrai le texte au vote du conseil d’administration pour vote définitif le 18 avril », indique-t-il.
« Difficilement crédible »
De même, le gendarme du rail relève que les objectifs de productivité de 1,2 milliard d’euros par an à terme en 2026 sont « ambitieux », « cohérents avec les efforts nécessaires » et atteignables puisque comparables à ceux réalisés par d’autres gestionnaires d’infrastructure ailleurs en Europe.
Mais c’est à peu près tout pour le positif… Le reste du rapport est une longue déploration aux formules parfois cinglantes. Sur les objectifs de productivité cités plus haut, par exemple, l’Arafer note que « SNCF Réseau n’a pas été en mesure de préciser le détail des actions projetées pour concrétiser cet engagement ». L’autorité a remarqué que le contrat prévoit un fort accroissement des gains de productivité à partir de 2021 (155 millions d’euros par an contre 77 auparavant) sans qu’aucune explication ne soit donnée pour justifier cette accélération, par conséquent « difficilement crédible ».
Faute d’outils d’évaluation des résultats, l’Arafer estime qu’il sera très difficile de suivre la mise en œuvre du plan. « Des indicateurs contractuels cruciaux, sur la productivité de l’entretien, la qualité de service des circulations fret et voyageurs ainsi que la qualité de l’infrastructure par axe, ne sont pas définis dans le projet de contrat, poursuit le gendarme du rail. Il est donc amputé d’objectifs sur des critères importants pour mesurer la performance du gestionnaire d’infrastructure. »
Dérive financière de SNCF Réseau
Mais il y a plus grave. Et cela concerne la dérive financière de SNCF Réseau, dont la dette a atteint 42 milliards d’euros en 2016. « Les prévisions de recettes de péages inscrites dans la trajectoire financière sont exagérément optimistes, en particulier au-delà de 2020. » L’Arafer estime que le contrat ne prend pas assez en compte le réel dans ses simulations et en particulier « les conséquences des augmentations de péages prévues sur l’évolution des trafics ». « Les orientations tarifaires semblent déconnectées des réalités économiques, et notamment d’un contexte marqué par une forte concurrence entre les modes de transport », écrit le gendarme du rail.
Et la conséquence peut se révéler dramatique. Dans ces conditions, « rien ne permet d’assurer que l’augmentation de presque 40 % de la dette de SNCF Réseau par rapport à aujourd’hui [63 milliards d’euros prévus en 2026], bien que considérable, soit contenue à ce niveau ». Alerte à la bombe financière !
SNCF Réseau n’est évidemment pas seul à essuyer le feu des critiques de l’Arafer. L’Etat, l’autre partie contractante, est également visé. L’autorité lui adresse parfois des reproches directs visant sa capacité à promettre ce qu’il aura du mal à tenir (« au vu de l’historique, l’augmentation des subventions prévue sur la période du contrat serait tout à fait exceptionnelle ») ou, à l’inverse, son art de ne pas se mouiller (« L’Etat se borne à “veiller à la cohérence et au bon fonctionnement du système ferroviaire national”, sans s’engager sur le niveau de son soutien financier »).