La jeunesse sud-coréenne, oubliée de la campagne présidentielle
La jeunesse sud-coréenne, oubliée de la campagne présidentielle
Par Philippe Mesmer (Séoul, envoyé spécial)
A la pointe des manifestations qui ont abouti à la destitution de la présidente Park Geun-hye, la jeunesse sud-coréenne se sent oubliée par les candidats à sa succession.
Manifestation à Séoul, le 11 février, pour appeler à la destitution de la présidente Park Geun-hye. | ED JONES / AFP
A la pointe des manifestations qui ont abouti à la destitution de la présidente Park Geun-hye, la jeunesse sud-coréenne se sent oubliée par les candidats à sa succession. La campagne pour le scrutin du 9 mai tourne autour de la Corée du Nord, des réformes de l’économie pour réduire le pouvoir des chaebols (conglomérats), ou de la politique pour plus de transparence et d’intégrité. Mais de propositions spécifiques pour la jeunesse, il n’y en a guère, alors que le chômage frappe particulièrement cette catégorie (11,3 %, contre 3,7 % pour l’ensemble de la population active). Or, la perspective de fonder une famille reste liée à celle d’avoir un emploi stable.
Mais à y regarder de plus près, le mal-être de la jeunesse sud-coréenne dépasse la simple question de l’emploi. D’après les résultats d’une étude réalisée par le département de sociologie de l’université Yonsei (Séoul), les jeunes Sud-Coréens sont parmi les plus malheureux au sein de l’OCDE. « La société coréenne impose trop de pression, déplore Cyriaka, 18 ans et militante pour les droits des jeunes. Si on n’intègre pas une université à Séoul, on est considéré comme un loser. »
« Immense frustration »
L’un des graves problèmes est celui des discriminations envers les décrocheurs scolaires. Il existe une lassitude réelle envers un système qui oblige à passer quinze heures par jour en cours. « Nous étudions comme des fous, regrette un élève du lycée pour garçons Hongil de Mokpo (sud-ouest), qui dénonce la persistance des châtiments corporels malgré leur interdiction officielle, et l’absence de droits comme celui d’avoir des cheveux longs. Nous n’avons aucun bon souvenir de nos années d’adolescents. » Le coût de la scolarité est également critiqué. Cyriaka, fille d’un camionneur et d’une femme au foyer, souhaite réintégrer l’université, mais « pas en Corée. Je veux aller en Allemagne où c’est gratuit ».
Il y a également le besoin de faire entendre sa voix. « Sans fondement idéologique, la jeunesse a profité des manifestations anti-Park pour exprimer une immense frustration et lancer un appel à un changement profond du système », constatait Kang Won-taek, de l’université nationale de Séoul.
Cyriaka a quitté le lycée en deuxième année car elle ne pouvait pas « mener d’activité politique ». Collégiens et lycéens sud-coréens ont largement contribué, dès les années 1960, au mouvement pour établir la démocratie, mais aujourd’hui encore, toute activité politique, adhésion à un parti et droit de grève sont interdits. « C’est écrit dans les règlements des écoles », précise Gonghyun, qui a abandonné ses études à la prestigieuse université de Séoul par opposition au système éducatif et a passé plus d’un an en prison pour avoir refusé de faire son service militaire. Il défend aujourd’hui les droits des jeunes au sein de l’association Asunaro. Participer à des grèves peut empêcher de trouver un travail plus tard.
Combat féministe
Plus récemment, le combat pour le féminisme dans une société toujours très patriarcale, a retrouvé de l’allant après un fait divers tragique, l’assassinat d’une jeune femme de 23 ans dans des toilettes publiques de la gare du quartier branché de Gangnam (Séoul) par un homme disant « détester les femmes ». « Les femmes veulent que les violences dont elles sont victimes soient réellement discutées par la société. Elles veulent avoir le droit à l’avortement [interdit sauf en cas d’inceste, viol, trouble génétique ou mise en danger de la femme enceinte] et, tout simplement, celui de vivre », clame Cyriaka.
Les minorités LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) peinent également à se faire entendre. Alors que devant la mairie de Séoul, des ultraconservateurs campent en affichant leur haine de l’homosexualité, les candidats n’ont pas abordé la question, si ce n’est pour annoncer leur refus du mariage pour tous dans un pays où être reconnu homosexuel dans l’armée peut conduire à deux ans de prison.
Face à une jeunesse qui, observe dans le quotidien Chosun, Hyun Taek-soo, de l’Institut coréen des affaires sociales, « a grandi avec la mondialisation, et qui, parfois, se sent mieux aux Etats-Unis ou en Europe », les candidats à la présidentielle préfèrent draguer l’électorat vieillissant, plus enclin à aller voter.