TV : « Absolument trans » ? Pas si sûr.
TV : « Absolument trans » ? Pas si sûr.
Par Renaud Machart
A voir aussi ce soir. Le documentaire de Claire Duguet et Stéphanie Cabre brosse à trop gros traits et d’une manière non contradictoire un sujet hautement complexe (sur Arte à 22 h 25).
Absolument trans - ARTE
Le phénomène transgenre a fini par trouver à son tour – après celui de l’homosexualité – une visibilité longtemps refusée, au mieux voilée. La communauté homosexuelle, dans ses revendications des années 1970, n’avait pas associé à son combat les représentant(e) s trans, et avait mis le sujet sous le tapis en leur promettant : « Votre tour viendra ensuite. »
Cette émergence aux yeux de la société s’accompagne d’ailleurs d’un respect lexical auquel tiennent les personnes ayant vécu une transition : on ne dit plus (ou moins fréquemment) « transsexuel » mais « transgenre », car il s’agit non pas d’orientation sexuelle (beaucoup de trans sont hétérosexuels) mais de réorientation de genre.
Le documentaire Absolument trans informera utilement le novice par son récit à grands traits. Mais si l’on tient compte de l’ensemble des nombreuses émissions, documentaires, séries et films consacrés depuis quelques années à ce vaste et riche sujet, on avouera être resté sur sa faim.
Les personnes transgenre (hommes et femmes) interrogées sont des personnages publics et connus dans les milieux musicaux, artistiques, cinématographiques et sportifs. Si elles évoquent toutes, ou presque, les difficultés rencontrées au cours de leur vie, l’image qui est donnée de leur expérience masque la réalité des terribles ostracismes qui sont à l’œuvre partout dans la société des anonymes et « invisibles » (les assassinats, suicides et cas de précarité extrême sont nombreux dans cette communauté).
I Am Cait | Kris Jenner and Caitlyn Go to Dinner With Friends | E!
L’acteur pornographique trans Buck Angel tresse les lauriers de Caitlyn Jenner, l’ancien champion olympique, qui a rendu publique sa transition de femme (lesbienne) à homme à travers un entretien dans Vanity Fair, une série télévisée puis une autobiographie. Mais rien n’est dit sur les nombreux et nombreuses opposant(e) s à l’image glamorisée que Jenner, richissime et Républicaine, a donnée à sa nouvelle existence (même si, dans la série I am Cait, diffusée par E !, la parole a été donnée à d’autres voix).
De même, la scénariste Zackary Drucker (vue dans I am Cait), longuement interrogée, loue-t-elle les mérites de la série Transparent de Jill Solloway (que nous avons nous-même défendue en ces colonnes) et du jeu du comédien Jeffrey Tambor, distribué dans un rôle transgenre.
Elle évoque à peine l’opposition parfois farouche d’une large partie de la communauté trans à ce choix. Mais Zackary Drucker peut-elle faire autrement puisqu’elle est productrice associée de la série en question ?
Le cas de l’actrice « absolument trans » autant qu’« absolument fabuleuse » Laverne Cox (vue dans la série Orange Is the New Black, de Jenji Kohan, et à la une des plus grands magazines) est porté en exemple de réussite. Mais il cache la difficulté qu’ont les acteurs et actrices transgenres à être employé(e) s à l’écran dans des rôles autres que stéréotypés.
Arte
Ainsi, on ressent vivement, par contraste, l’abîme d’incertitude et de tristesse que dénote la fin de l’entretien avec la comédienne trans Stéphanie Michelini, employée dans le film Wilde Side (2004), de Sébastien Lifshitz : « En France, il n’y pas de rôles pour les trans. On a toujours dix, quinze ans de retard sur les Etats-Unis. Peut-être un jour… Il faut attendre un petit peu… » Cette problématique aurait mérité davantage d’approfondissement.
On ne dit pas que le radicalisme de certains activistes trans est la voie de la raison ; on ne dit pas que ce documentaire ment à propos de la réalité du transgénérisme ; on ne pense pas que le transgénérisme soit forcément un « douloureux problème », comme on le disait de l’homosexualité du temps des émissions radiophoniques de Ménie Grégoire.
On regrette simplement que ce passionnant sujet n’ait pas bénéficié, à travers ce documentaire, d’un traitement plus pointu, plus étayé, plus contradictoire, à la hauteur de sa complexité.
Absolument trans, de Claire Duguet et Stéphanie Cabre (France, 2017, 52 min).