« Tu devrais régler ton appareil sur RAW, tes photos seraient meilleures ! » Ces trois lettres magiques sont l’un des premiers conseils qu’on reçoit lorsqu’on démarre en photographie. Comme un talisman réservé aux initiés de la confrérie. Encore faut-il disposer du bon appareil photo : la plupart enregistrent les photos en JPG (ou JPEG) uniquement, gommant au passage les nuances les moins visibles de l’image. Le RAW respecte nettement mieux les informations capturées par l’appareil photo, c’est le privilège des appareils haut de gamme. Pourtant, les photographes professionnels n’utilisent pas systématiquement le RAW. Cette norme induit de nombreuses contraintes et désagréments. Et sur l’écran d’un ordinateur la comparaison n’est pas toujours probante :

La même image d’un chantier naval à Dhaka, en RAW et en JPEG, ouverte avec la visionneuse photo de Windows 10 (Canon 5D mk2). | Nicolas Six

Généralement, pour percevoir un gain de qualité, il faut retoucher la photo assez fortement. Le plus souvent, l’amélioration s’avère légère, sauf à juger avec l’œil d’un passionné. Bien plus rarement, l’amélioration s’avère nette pour tout le monde. Dans quel cas faut-il utiliser le RAW ?

Le RAW, c’est pénible

VRAI

  • Poids quadruplé

Lorsqu’on troque le JPG pour le RAW, l’espace occupé par cinq mille photos passe de 20 gigaoctets (Go) à 80 Go. Le risque est réel de saturer les capacités de stockage de l’ordinateur et d’être forcé d’investir dans de l’espace mémoire supplémentaire. De plus, la lourdeur des RAW fait perdre du temps : le transfert des photos vers l’ordinateur est ralenti, la retouche est plus lente.

  • Incompatibilités

Certains logiciels n’arrivent pas à lire les RAW, d’autres ont besoin d’une mise à jour. Les logiciels capables de retoucher les RAW sont rares. Lorsqu’on n’a pas les moyens d’investir dans un logiciel semi-professionnel, on se rabat sur le logiciel de « développement » fourni par la plupart des fabricants d’appareils. Ce logiciel est généralement complexe.

  • Partage difficile

Les RAW peuvent difficilement être envoyés par Internet, vos correspondants ne pourraient probablement pas les lire. Mieux vaut les convertir en… JPG ! Une manœuvre assez pénible.

  • Pérennité douteuse

Il existe des centaines de formats RAW différents. Chaque marque a le sien : Nef, Cr2, Arw… Au sein d’une marque, tous les appareils n’emploient pas la même variante du RAW maison. Les éditeurs de logiciels ont du mal à suivre. Certaines variantes du RAW risquent de ne plus être lisibles dans dix ou vingt ans. Deux solutions existent pour traverser le temps sans encombre : la première consiste à photographier toutes les images en double, RAW et JPG – beaucoup d’appareils premium le permettent ; la seconde consiste à convertir ses RAW dans un standard pérenne (TIFF 16 bits ou le DNG). L’opération est longue et consomme toujours plus de mémoire.

Le RAW protège les ombres et les lumières

VRAI ET FAUX

La lumière est la nourriture de l’appareil photo. Quand son capteur saisit une image, tous ses pixels ne boivent pas la même quantité de Soleil. Entre les pixels sombres et les pixels clairs, l’écart peut être énorme. Quand le sujet qu’on photographie est violemment contrasté, l’appareil peine à capturer les ombres et les lumières simultanément.

  • JPG, un contraste presque aussi vif

Contrairement à une idée reçue tenace, le JPG n’élimine pas brutalement les lumières les plus vives. Quand l’appareil photo n’arrive pas à encaisser la luminosité extrême du Soleil, l’image est « brûlée » par endroits : elle vire au blanc. La zone brûlée est certes légèrement plus grande en JPG qu’en RAW, mais l’écart n’est jamais spectaculaire. On le perçoit quand on affiche les zones ultralumineuses d’une image :

Manipulation en laboratoire. En bas, seuls les 1 % les plus lumineux de l'image sont affichés (Canon 5D mk2). | Nicolas Six pour Le Monde

Le constat est similaire pour les parties sombres de l’image. Certains clichés recèlent une zone totalement noire. L’étendue de cette zone « enterrée » est proche en JPG et en RAW. Pour le percevoir, il faut effectuer une manipulation brutale : afficher le pourcentage le plus sombre de la photographie. Le RAW emmagasine légèrement plus d’informations, mais la différence est ténue :

Spectacle des Ballets du Rhin. Mathieu Guilhaumon, soliste et chorégraphe (Canon 5D mk2) | Nicolas Six pour Le Monde

Sans ces manipulations brutales, les différences entre RAW et JPG sont difficiles à percevoir. Avant retouche, si un écart apparaît parfois à l’écran, il traduit rarement de réelles différences de qualité. Le plus souvent, l’écart s’explique par une différence d’interprétation du logiciel. Bien souvent, il suffit de retoucher légèrement le JPG pour remettre les photos à égalité. Même après retouche, un retoucheur adroit arrive souvent à tirer un résultat comparable du JPG et du RAW.

Steve Lelong, champion du monde de Battle (Nikon D5). | Nicolas Six pour Le Monde

Chantier naval à Dhaka. | Nicolas Six pour Le Monde

Ce n’est que lorsqu’on recourt à des retouches très franches que le RAW révèle son vrai potentiel. Pour le comprendre, il faut pénétrer les secrets du RAW.

  • Plus de nuances

Le RAW enregistre beaucoup de nuances entre le pixel le plus sombre et le plus clair : 4 096 paliers, contre 256 en JPG. Avant retouche, la différence n’est pas perceptible : 256 nuances suffisent pour tromper l’œil humain. Mais la retouche change la donne.

Les nuances du RAW apparaissent lorsqu’on fouille les ombres profondes de l’image, pour révéler des détails cachés, ou lorsqu’on sonde les lumières vives. Le résultat est rarement spectaculaire. La différence est particulièrement difficile à percevoir avec un compact ou un smartphone. Elle est moins discrète avec certains modèles de reflex, capables de capturer des nuances de lumières particulièrement larges. Le plus souvent toutefois, il faut un œil exercé pour percevoir une nette différence. Sauf dans certains cas particuliers. Par exemple lorsqu’on retouche fortement la luminosité d’un ciel, l’amélioration saute aux yeux :

Nicolas Six pour Le Monde

Dans la version JPG de l’image, le ciel est zébré de bandes de couleur. Dans la version RAW, aucune bande disgracieuse. Les nuances de luminosité subtiles du RAW empêchent leur apparition :

Nicolas Six pour Le Monde

La plupart des photographes rencontrent rarement ce problème de « banding ». Celui-ci apparaît lorsqu’on retouche massivement une zone aux couleurs subtilement dégradées : un ciel, un mur uni, un vêtement uni… Quand ce scénario se produit, mieux vaut avoir un RAW en stock. Que faire si l’on dispose uniquement du JPG ? Le plus souvent, on s’en tire en retouchant l’image plus légèrement. Parfois aussi, on parvient à gommer le banding avec un filtre de flou.

Plus de douceur, des couleurs plus vives

VRAI

  • Des images moins nettes

Les photos JPG sont légèrement plus nettes que leur contrepartie RAW. L’explication est simple : la netteté des JPG est automatiquement accentuée avant enregistrement, pas celle des RAW. Certains appareils accentuent même brutalement la netteté des JPG, mais la plupart le font avec parcimonie, et la différence ne saute pas aux yeux.

Les réflex de Sony accentuent plus fortement les JPG que les réflex Canon ou Nikon. Mais même chez Sony, l'accentuation demeure raisonnable, comme on le constate ici (Sony A7SII) | Nicolas Six pour Le Monde

Les photographes en quête de douceur préféreront le RAW. Paradoxalement, les amoureux d’images extrêmement nettes s’y intéresseront également. Le RAW permet d’augmenter la netteté avec une grande précision, plutôt que de subir les choix de l’appareil photo.

Une dernière famille de photographes appréciera la douceur des RAW : ceux qui doivent se contenter de très peu d’éclairage. Sur les clichés JPG photographiées à haute sensibilité, le renforcement de la netteté dissémine un grain disgracieux dans l’image. Cependant, les appareils photo ont bien progressé. La qualité des JPG capturés à haute sensibilité s’est améliorée. Lorsqu’on retouche l’image, on est plus rarement sur le fil qu’il y a dix ans. L’emploi du RAW se justifie moins.

  • Des couleurs plus vives

Lorsqu’on éclaircit fortement une photographie JPG, les couleurs ont tendance à pâlir. Les RAW échappent à ce problème, toujours grâce à leurs nuances cachées plus riches :

Nicolas Six pour Le Monde

Après retouche, la végétation de la photo RAW est plus verte. On perçoit mieux la différence sur les retouches extrêmes ou désespérées :

Nicolas Six pour Le Monde

Les images en RAW ont un dernier avantage. Leur colorimétrie est plus souple. En changeant de balance des blancs, on peut revenir à des couleurs plus naturelles facilement, sans recourir à de complexes outils d’étalonnage des couleurs.

En conclusion : faut-il adopter le RAW ?

Le RAW est agaçant. Il occupe un espace énorme dans l’ordinateur. Il complique la retouche, le partage des photographies, leur stockage à long terme. Il a aussi des avantages. Il produit des images un rien plus douces. Lorsqu’on retouche les images de façon très invasive, les couleurs sont mieux préservées, et occasionnellement, la lumière est mieux respectée. Mais au final, la différence n’est spectaculaire que dans une minorité de cas.

Ces cas particuliers sont-ils au cœur de votre pratique photographique ? Si vous êtes passionné par les nuances du ciel, ce sera le cas. Si vous photographiez des sujets extrêmement contrastés (forêts, architecture), c’est aussi le cas. Si vous immortalisez des sujets qui bougent beaucoup dans des environnements très sombres (sports en salle, danse), c’est encore le cas. Si vous photographiez dans ces contextes-là, le RAW est un réel atout. Dans le cas contraire, trois solutions s’offrent à vous :

  • Vous aimez beaucoup retoucher ? Passez votre appareil en RAW seulement quand c’est utile : quand la lumière est très faible ou quand l’éclairage est très contrasté. Faites une copie des meilleurs clichés en TIFF 16 bits. Ce format est pérenne, universel, et préserve la qualité photo.
  • Vous êtes perfectionniste ? Photographiez vos images en doublon : RAW + JPG. Gardez toutes vos photographies en JPG, et conservez uniquement les RAW des meilleurs clichés.
  • Vous n’aimez pas vous compliquer la vie ? Tirez un trait sur le RAW : votre pratique photo sera bien plus agréable. Peu importe si quelques clichés n’atteignent pas leur plein potentiel après retouche. Avant de tirer un trait sur le RAW, faites tout de même une petite vérification. La majorité des appareils photo compatibles RAW fabriquent des JPG de bonne qualité. Hélas, cela n’est pas systématique. Prenez le temps de vérifier que le JPG de votre appareil vous satisfait.

Nous avons utilisé plusieurs appareils et logiciels pour mener nos tests :
– Appareils : Canon 5D2, Nikon D5, Sony a7S II, Canon G7X II, Canon 1200d, LG G6.
– Logiciels de visionnage : Fastone Image Viewer, Picasa, visionneuse Windows.
– Logiciels de retouche : Lightroom, Photoshop, logiciels de développement Canon, Sony, Nikon.