Richard Gisagara : « En France, nier le génocide au Rwanda est désormais passible d’un an de prison »
Richard Gisagara : « En France, nier le génocide au Rwanda est désormais passible d’un an de prison »
Propos recueillis par Pierre Lepidi
Depuis janvier, la loi punit l’apologie ou la banalisation du génocide de 1994, explique l’avocat de la Communauté rwandaise de France.
En France, depuis janvier 2017, le fait de nier, banaliser ou contester le génocide perpétré au Rwanda contre les Tutsi et les Hutu modérés, qui a fait plus de 800 000 morts entre avril et juillet 1994, est passible d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. À l’origine de cet amendement de l’article 24 bis de la loi sur la liberté de la presse se trouve notamment l’association Communauté rwandaise de France (CRF), défendue par Me Richard Gisagara, lui-même d’origine rwandaise.
Comment expliquer l’origine de cette loi qui punit désormais la négation du génocide au Rwanda ?
Richard Gisagara Tout a commencé par un sketch qui a été diffusé sur Canal + en décembre 2013. Il tournait en dérision le génocide qui a été commis au Rwanda et a scandalisé de nombreuses personnes [l’un des personnages chantait notamment « Maman est en haut, coupée en morceaux… »] Au départ, la CRF ne partait pas dans une procédure judiciaire. Elle voulait seulement demander à Canal +, par une mise en demeure, de ne plus diffuser ce sketch. Mais la chaîne a refusé et, sur un ton assez méprisant, a déploré le « manque d’humour » de la communauté rwandaise.
Le sketch a été rediffusé et c’est cela qui nous a poussés à porter l’affaire devant les tribunaux. Entre-temps, une pétition avait recueilli 22 000 signatures et une manifestation a été organisée. Le CSA [Conseil supérieur de l’audiovisuel] a aussi mis en demeure la chaîne, mais la CRF et l’association Ibuka, qui soutient notamment les rescapés du génocide, n’avaient toujours pas reçu les excuses qu’elles attendaient. Nous avons alors déposé une plainte pour « injures publiques contre un groupe de personnes » et « apologie de génocide ».
Comme cette dernière a été classée sans suite, nous avons cette fois déposé une plainte avec constitution de partie civile. Nous nous sommes heurtés encore une fois à un refus, puisque celle-ci a été déclarée irrecevable par le juge d’instruction de Paris.
Vous avez alors poursuivi ce marathon judiciaire ?
Nous n’avons pas baissé les bras. Nous avons fait appel et, devant la Cour d’appel, nous avons introduit une question prioritaire de constitutionnalité, c’est-à-dire une procédure qui permet à tout justiciable de contester une disposition légale s’il estime que celle-ci est contraire à la Constitution. La Cour d’appel de Paris, après l’avoir jugée recevable, l’a renvoyée à la juridiction supérieure, la Cour de cassation, qui l’a ensuite renvoyée devant le Conseil constitutionnel.
Nous avons plaidé le dossier devant celui-ci en expliquant qu’en matière d’apologie de crime de génocide, seules les associations qui défendaient la mémoire des rescapés de la Shoah avaient la possibilité d’engager des poursuites judiciaires. Nous avons contesté la légalité de cette disposition en estimant que toutes les victimes de génocide et de crimes contre l’humanité devaient être placées sur un pied d’égalité et avoir la possibilité d’engager les poursuites judiciaires.
Ces arguments ont été déclarés recevables. Le Conseil constitutionnel a estimé qu’ils étaient fondés et a demandé à l’État de changer la loi en lui donnant un délai d’un an pour le faire.
La loi a donc été modifiée…
Depuis janvier, l’article 48-2 de la loi sur la liberté de la presse reconnaît que les associations des victimes de tous les génocides, en plus de celles des victimes de la Shoah et des résistants, peuvent engager des poursuites judiciaires en cas d’apologie de génocide ou de crimes contre l’humanité. Et désormais, en vertu de l’article 24 bis de la même loi, ceux qui nient, font l’apologie ou minorent le génocide commis contre les Tutsi encourent une peine d’un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. La loi ne concerne pas que les journalistes, mais tous ceux qui tiennent des propos visant, par exemple, à banaliser le génocide des Tutsi.
Pour critiquer le rapprochement entre François Bayrou et Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle en France, le sénateur Pierre Charon a tweeté : « Quand les Hutu rejoignent les Tutsi ! » Peut-il être poursuivi pour cela ?
A mon avis, ces propos idiots ne tombent pas sous le coup de cette loi, parce que je ne pense pas que l’on peut parler ici de négationnisme ou de banalisation du génocide. C’est une imbécillité, rien de plus. Nous avons intérêt à ne pas porter plainte en permanence et ne pas multiplier les procédures.
Où en est l’affaire du sketch de Canal + ?
Mise en suspens le temps que cette question de constitutionnalité soit résolue, l’affaire a repris après l’adoption de cette loi. Le 16 juin, la Cour d’appel de Paris nous a donné gain de cause en estimant qu’il fallait que les poursuites continuent contre les auteurs concernés par ce sketch. Je pense qu’il y aura rapidement des mises en examen.
Que répondez-vous à ceux qui pourraient considérer que vous manquez d’humour ou qui pourraient comparer votre démarche à de la censure ?
C’est un non-débat. Depuis des décennies, des personnes de bonne foi écrivent sur la Shoah, font des études scientifiques, des critiques… La loi n’a jamais censuré cela, donc elle ne le fera pas dans le cas du génocide commis contre les Tutsi non plus. La seule condition est de ne pas être animé d’une intention de nuire. Nous avons juste élargi le champ de l’action à tous les génocides.
Cette loi peut-elle contribuer au réchauffement des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda ?
Je crois qu’il est important de distinguer le politique et le judiciaire. Lorsque les juges ont rendu leur décision, ils ont seulement estimé que l’action de la CRF était fondée. Sans subir de pression diplomatique ou politique.