Comment la naissance est progressivement devenue un acte médicalisé
Comment la naissance est progressivement devenue un acte médicalisé
Le débat lancé durant l’été sur les « violences obstétricales », comme l’émergence récente de maisons de naissance constituent une timide remise en cause d’une médicalisation croissante des accouchements.
En France, les femmes n’ont majoritairement accouché à l’hôpital qu’à partir des années 1950. / - / AFP
Touchers vaginaux inutiles, épisiotomies à vif, obligation d’accoucher sur le dos... ces gestes médicaux réalisés quotidiennement dans les maternités françaises sont désormais considérées par certaines partientes comme des « violences obstétricales ». Combien, pourquoi ? Un rapport commandé durant l’été par la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, devrait éclairer ce sujet longtemps tabou.
La recherche d’alternatives aux accouchements médicalisé avait déjà abouti en 2016 à l’ouverture de neuf maisons de naissance en France. Ces initiatives encore timides marquent un point de rupture par rapport à l’évolution historique de l’accouchement, qui est allée au fil des années vers plus de médicalisation, de maîtrise du risque et de la douleur.
1 - Durant des siècles, donner la vie au risque de la mort
Traditionnellement dans l’histoire, les mères donnaient naissance à leurs enfants à la maison, avec l’aide d’une matrone (femme expérimentée) et des femmes de la famille, comme le détaillent le gynécologue Paul Cesbron et l’historienne Yvonne Knibiehler dans La Naissance en Occident (Albin Michel, 2004). Ni césarienne, ni anesthésie possible : l’accouchement est douloureux et dangereux, puisque le taux de mortalité atteint 1 % à 2 %.
A partir du XVIIe siècle, les nobles et les bourgeoises recourent aux services de chirurgiens accoucheurs, qui développent des techniques d’intervention : forceps, césariennes… Parallèlement, une véritable formation de sages-femmes est mise en place à partir de 1760 pour remplacer les matrones.
A cette époque, l’hôpital est considéré comme un mouroir. Seules les femmes les plus pauvres et isolées y accouchent. Les médecins qui passent d’une intervention à l’autre sans se soucier d’hygiène, propagent des infections, notamment la fièvre puerpérale, qui tuent entre 10 % et 20 % des jeunes mères.
2 - En ville puis dans les campagnes, la domination de l’hôpital
L’amélioration des techniques médicales, notamment la stérilisation, réduit considérablement la mortalité à l’hôpital à la fin du XIXe siècle. Durant l’entre-deux-guerres, au nom du progrès, les femmes des grandes villes se rendent de plus en plus dans les maternités : elles sont 67 % à Paris en 1939.
Au niveau national, le basculement s’opère en 1952 : plus de la moitié des Françaises choisissent l’hôpital. Un taux qui passe à 85 % en 1962, puis à 96 % en 1974. Seules les femmes de la haute bourgeoisie et des milieux ruraux donnent encore naissance à domicile. Dans l’après-guerre, la mortalité maternelle régresse de manière spectaculaire : pour 100 000 naissances, on passe de 81 décès en couche en 1951 à 54 en 1957.
A la maison, l’accouchement reste en grande majorité l’affaire des sages-femmes. « C’est un corps constitué et puissant depuis le XIXe siècle », affirme Marie-France Morel, professeure et membre de la Société d’histoire de la naissance. Même s’il existe encore dans les années 1950 de petites maternités de proximité gérées par les sages-femmes, dans les hôpitaux, les médecins règnent en maîtres et transmettent le principe que « mettre au monde est une pathologie ».
3 - Après la sécurité, la lutte contre la douleur
Si d’immenses progrès ont été réalisés en un siècle pour réduire la mortalité en couches, les femmes redoutent toujours les douleurs de l’accouchement. Les hôpitaux résonnent des cris des parturientes. De premières tentatives de soulagement chimique ont lieu au XIXe siècle. En 1853, la reine Victoria accouche de son huitième enfant sous chloroforme. Dans le monde anglo-saxon, l’anesthésie se développe (protoxyde d’azote, éther, chloroforme, scopolamine…), mais les médecins français sont réticents face à l’augmentation du risque obstétrical (plus de forceps), et la religion catholique condamne ces pratiques, estimant qu’on doit « enfanter dans la douleur ».
En 1952, un obstétricien célèbre, Fernand Lamaze, importe à la maternité parisienne des Bluets, alors gérée par la CGT, des techniques psychologiques observées en URSS pour assurer un accouchement sans douleur (ASD), ensuite appelé « méthode psychoprophylactique ».
« Il a mis au point une méthode non médicamenteuse, en expliquant aux femmes ce qui se passait dans leur corps, en leur proposant des exercices pour soulager l’utérus et déconditionner des réflexes de douleur, détaille Marie-France Morel. Ça a très bien marché et a même été remboursé par la Sécurité sociale en 1956. Mais au début des années 1970, des voix se sont élevées pour dire que cela ne marchait pas pour tout le monde. »
4 - La révolution de la péridurale
Au début des années 1980, au moment où l’accouchement sans douleur est remis en cause, apparaît dans les hôpitaux français l’anesthésie péridurale, une injection qui réduit fortement les douleurs de l’accouchement tout en laissant les femmes conscientes. Encouragé par les féministes, qui y voient une libération, l’engouement est rapide : le taux de péridurale est multiplié par dix en quelques années, passant de 3,9 % en 1981 à 48,6 % en 1995. Mais pour cela, « il fallait un anesthésiste de garde vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui n’était pas possible dans les petites structures. Donc on a rationalisé », retrace Marie-France Morel. Le nombre de maternités a drastiquement diminué et leurs missions ont été redéfinies en trois niveaux (I, II et III) selon les facteurs de risque.
5 - La timide émergence d’une alternative
Aujourd’hui, 99 % des accouchements ont lieu à l’hôpital, dont 76 % sous péridurale (en 2012) et plus de 22 % avec un déclenchement artificiel. « Les grosses maternités doivent s’organiser pour éviter d’avoir 20 accouchements un jour et 70 le jour suivant. L’expression d’“usine à bébés” peut sembler démagogique, mais elle a du sens », estime Paul Cesbron, ancien chef de la maternité de Creil (Oise). « On sent une envie d’autre chose, d’intimité, alors qu’aujourd’hui seule la sécurité des paramètres physiques est prise en compte », estime Marie France Morel.
Un mouvement militant, très minoritaire, prône le retour à l’accouchement à domicile, devenu quasi impossible pour des raisons d’assurance. D’où le compromis des maisons de naissance, structure gérée par des sages-femmes, à mi-chemin entre le domicile et l’hôpital. Initié en 1998, le projet a vu le jour en 2016 à titre expérimental pour cinq ans.
Dossier : accoucher autrement
Une petite « révolution » s’est opérée en 2016 pour les futures mamans : il est désormais possible d’accoucher dans des maisons de naissance, qui sont à mi-chemin entre l’hôpital et le domicile. Une expérimentation a été lancée pour cinq ans dans neuf structures en métropole et dans les départements d’outre-mer.
A cette occasion, nous avons souhaité réaliser un état des lieux de la naissance et de ses questionnements. Retrouvez ici tous les articles de notre dossier :
- L’état des lieux : pourquoi le nombre de maternités a-t-il été divisé par trois en quarante ans ?
- L’historique : Comment la naissance est progressivement devenue un acte médicalisé
- Les explications : qu’est-ce qu’une maison de naissance ?
- Le reportage à Paris : en maison de naissance, « on apprend à se faire confiance »
- Un reportage aux Pays-Bas : le pays où les femmes accouchent encore chez elles, accompagné d’un entretien : « Aux Pays-Bas, accoucher à domicile n’est pas un projet alternatif, c’est juste normal »
- Une vidéo humoristique : si le sexe était aussi médicalisé que l’accouchement, ce serait beaucoup moins drôle
- Une analyse : Accoucher avec ou sans péridurale, naissance d’un débat