Une « chaîne de solidarité citoyenne en faveur d’une énergie renouvelable »
Une « chaîne de solidarité citoyenne en faveur d’une énergie renouvelable »
Par Claire Legros
Localement, habitants et collectivités sont de plus en plus nombreux à se regrouper pour produire une énergie renouvelable, sans passer par des opérateurs à l’échelle nationale.
Inauguration du parc éolien public et citoyen d’Avessac à Tesdan (Ille-et-Vilaine). / Eoliennes en pays de Vilaine
C’est un mouvement discret mais qui pourrait bien transformer durablement la production d’électricité en France. Dans de nombreuses régions en France, habitants et collectivités se regroupent pour produire ensemble une énergie renouvelable, sans passer par des opérateurs à l’échelle nationale. Face à l’urgence climatique, ils veulent reprendre la main sur la production mais aussi leur consommation d’énergie.
Christel Sauvage est cofondatrice de l’association Energie partagée, levier d’investissement citoyen. Nous l’avons rencontrée à l’occasion de la conférence organisée au Monde, jeudi 30 novembre, « Transition énergétique, innover mais à quel coût ? »
Pourquoi avoir créé un outil d’investissement coopératif dans le domaine de l’énergie ?
Christel Sauvage. En France, les politiques énergétiques ont toujours été décidées au plus haut niveau de l’Etat sans discussion. On est en train d’en sortir, lentement. On assiste à un fourmillement d’initiatives pour se réapproprier les biens communs que sont le soleil, le vent, le bois ou le cours de l’eau, une prise de conscience que la participation citoyenne est une condition de réussite de la transition énergétique.
Nous avons lancé Energie partagée en 2010 à l’occasion du développement d’un parc éolien dans les Ardennes. Nous voulions que la gouvernance du projet reste entre les mains des acteurs locaux. Il nous manquait un outil de financement pour garantir la réappropriation locale de ces richesses. Nous avons réfléchi avec l’Ademe [Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie] et créé cet outil d’investissement qui a depuis permis la réalisation d’une trentaine de projets : panneaux solaires, parcs éoliens, chaufferies collectives, unités de méthanisation ou encore remise en état d’une petite centrale hydroélectrique, comme dans les Vosges, où le projet alimente 250 foyers en électricité.
Quelle est la place des habitants dans ces projets ?
Dans une SCIC (société coopérative d’intérêt collectif), ce sont les acteurs locaux, entreprises, habitants, collectivités, qui détiennent les parts du capital. Concrètement cela veut dire que le parc d’éoliennes ou la centrale photovoltaïque leur appartient. Chaque investisseur siège à l’assemblée générale où il détient une voix, quelle que soit la somme investie. Par ailleurs, les SCIC sont des entreprises de l’économie sociale et solidaire dont au moins 57 % des bénéfices sont consacrés à renforcer l’entreprise et dont le versement de dividendes est encadré.
Quels sont les atouts d’une démarche locale et citoyenne de réappropriation de l’énergie ?
Du point de vue économique, c’est important que les ressources primaires irriguent le territoire sur lequel elles sont produites, et profitent à tous. Si le projet n’est pas détenu majoritairement par des acteurs locaux, le risque existe que le promoteur tire vers le bas la maintenance, par exemple, ou fasse des choix qui visent avant tout à augmenter les dividendes des actionnaires. La structure coopérative empêche toute dérive spéculative. Elle permet aussi que les acteurs locaux s’approprient le sujet et mènent en parallèle une réflexion autour de la maîtrise de l’énergie.
Cet engagement entraîne-t-il une meilleure acceptation du projet par la population ?
La démarche participative est plutôt un facteur d’acceptation, mais ce n’est pas systématique. En étant partie prenante du projet, les habitants n’ont pas l’impression de subir. Les animations créent du lien. Cela permet d’informer, de répondre aux nombreuses rumeurs autour des énergies renouvelables. Construire ensemble un projet aide surtout à faire la part des choses entre les difficultés réelles et les positions irrationnelles ou de principe.
Chez les opposants, il y a de vrais arguments qui doivent être pris en compte, comme les problèmes d’odeurs ou de bruits. Une éolienne en panne peut faire du bruit. Une usine de méthanisation peut dégager une odeur insupportable. Nous avons rencontré le cas d’un méthaniseur qui avait brûlé un silo d’oignons pourris. Il y a eu une rencontre avec les habitants et l’utilisation d’oignons a finalement été proscrite.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles ces projets sont confrontés ?
Ils sont plus longs à sortir de terre que des projets menés par des développeurs conventionnels. A partir du moment où vous décidez d’informer les gens, il faut prévoir un temps d’animation, qui a un coût.
Mais ce temps, on va le gagner ailleurs, en termes de démocratie locale par exemple. L’appropriation de tels projets enclenche par ailleurs un cercle vertueux vers une transition énergétique. Quand un projet est géré par les acteurs locaux, ils peuvent décider collectivement de financer un salaire pour, par exemple, enseigner les bonnes pratiques d’économies d’énergie, quitte à réduire les bénéfices des investisseurs.
Un projet coopératif ne risque-t-il pas d’être plus fragile que s’il est porté par des opérateurs dont c’est le métier ?
Pour que ça marche, il est nécessaire d’avoir un noyau de personnes très investies. Dans le cas des Ardennes, la communauté de communes des Crêtes préardennaises est une collectivité rurale très volontaire, qui ne se censure pas et n’hésite pas à innover. Il faut aussi de la stabilité dans la gouvernance, une dynamique partagée au-delà d’éventuels changements politiques. Mais nous n’avançons pas seuls. L’animation des projets s’appuie aussi beaucoup sur le soutien de l’Etat à travers l’accompagnement de l’Ademe. Les régions commencent également à attribuer des aides particulières aux initiatives à caractère citoyen. Dans la nouvelle tarification de l’éolien, il existe une bonification de tarifs pour les projets participatifs.
Vous avez développé votre outil d’investissement au niveau national. Pourquoi ?
Les citadins, surtout dans les grandes villes, ne peuvent pas toujours investir dans un projet éolien près de chez eux. Mais ils peuvent vouloir investir ailleurs, dans une région qu’ils connaissent, où ils ont de la famille. Avec notre outil d’investissement national, il est possible de flécher un projet. Depuis 2010, près de cinq mille investisseurs ont apporté 14 millions d’euros à des projets citoyens. Par le biais de l’investissement, c’est une chaîne de solidarité citoyenne qui se crée en faveur d’une énergie renouvelable.