Intégrer une grande école sans prépa, grâce aux admissions parallèles
Intégrer une grande école sans prépa, grâce aux admissions parallèles
Par Eric Nunès
Les écoles de commerce et d’ingénieurs recrutent une partie de leurs élèves après un bac + 2 à + 4. Une manière de diversifier les profils, y compris socialement, et de faire une place à ceux qui « ne sont pas faits pour étudier en classe préparatoire ».
Des élèves de Grenoble école de management, l’une des écoles qui recrute en admissions parallèles via le concours Passerelle. / PIERRE JAYET / Grenoble école de management via Campus
Devenir un « Barjot », un « Expert » ou un « Costaud » ? A 18 ans, Quentin Darmaillac pense, respire et rêve hand-ball. Le jeune homme regarde l’équipe de France imposer son empreinte sur les grands championnats de la planète tout en intégrant, bac ES en poche, une classe préparatoire aux grandes écoles de commerce. Il abandonne après quatre mois : « j’étais perdu », confesse-t-il. Après une réorientation vers un Institut universitaire de technologie (IUT) et quelques pépins physiques, Quentin abandonne son rêve de devenir un cadre de l’équipe de France, obtient son DUT de technique de commercialisation et intègre, via un concours en admissions parallèles, Kedge Business School, à Bordeaux. Et il a aujourd’hui un pied dans le management d’une des plus célèbres marques de sport au monde.
Avoir lâché la prépa pour un enseignement moins théorique, « c’est le meilleur choix de ma vie », témoigne-t-il. Selon les derniers chiffres de la Conférence des grandes écoles (CGE), environ 60 % des étudiants qui intègrent une école de management ou d’ingénieurs ne sont pas passés par une classe préparatoire. Jean-François Fiorina, directeur adjoint de Grenoble Ecole de management, reconnaît :
« Les admissions parallèles apportent de la diversité, des talents qui se révèlent au fur et à mesure de la progression dans les études. »
Pourquoi faire le choix d’un parcours moins linéaire que la classique « voie royale » des classes prépa ? Parce que tout le monde, « même parmi les élèves les plus brillants scolairement, n’est pas fait pour étudier en classe préparatoire », souligne Chantal Dardelet, directrice du centre égalité des chances de l’Essec et animatrice du groupe ouverture sociale de la CGE. Multiplier les voies d’entrée possibles, c’est offrir des opportunités à des étudiants aux profils variés.
Un remède à « la consanguinité des profils »
Les admissions parallèles sont un remède à « la consanguinité des profils dans nos classes », assène Didier Degny, directeur des programmes de l’école d’ingénieurs Esiee :
« Elles permettent d’ouvrir les grands établissements à d’autres jeunes que des fils de cadres dirigeants et d’enseignants. »
Alors que la classe préparatoire est considérée comme une clé d’insertion professionnelle par les familles aisées, « l’obtention d’un diplôme intermédiaire rassure beaucoup celles qui sont plus modestes », témoigne également Mme Dardelet. Car le corollaire d’un cursus long est le financement. Cinq années d’études, c’est la perspective d’« un retour sur investissement plus tardif », poursuit-elle. Une première étape, en deux ou trois ans, atténue la pression portée sur les épaules de l’étudiant et de sa famille, et lui permet de prendre conscience de ses capacités et des opportunités que lui ouvriront des études plus longues.
Ensuite, en ouvrant leurs portes au-delà des 40 000 places que fournissent les classes préparatoires, les grandes écoles augmentent le nombre d’étudiants susceptibles de suivre leurs formations et renforcent ainsi leur modèle économique. Elles répondent aussi à la demande des entreprises. Si la qualité des élèves issus des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) est unanimement reconnue, d’autres profils sont également attendus par un monde professionnel en perpétuel mouvement. « Les entreprises ont besoin de profils atypiques, celui de l’étudiant scolaire et brillant ne répond pas seul à leurs besoins », constate Nathalie Hector, directrice des programmes de Kedge Business School, qui recrutera, en 2018, 600 élèves de classes préparatoires et 760 étudiants en admissions parallèles, à l’issue d’un bac + 2, + 3 ou + 4.
Qualité de l’enseignement
Du brassage des compétences naît également la qualité de l’enseignement. Quentin Darmaillac, l’amateur de hand qui a goûté quelques mois de classe préparatoire avant de faire le choix d’un IUT, témoigne :
« Lorsque les étudiants issus de différents horizons se retrouvent dans la même classe, on constate que ceux issus de classe préparatoire savent mieux structurer leur travail. Ils ont des facilités en mathématiques qu’ils peuvent transposer en comptabilité, en finance, gestion budgétaire. Mais ceux issus d’un BTS ou d’un IUT ont déjà derrière eux de nombreux mois de stages en entreprise. Ils ont appris à travailler collectivement et comprennent mieux les rouages du collectif. Or, il faut du savoir, mais il faut aussi du savoir-être. »
Se confronter à des approches différentes est également un plus pour les étudiants. « La multiplicité des parcours de chacun entraîne des confrontations multiculturelles enrichissantes », observe Mme Hector. Un constat que partage Didier Degny au sein de son école d’ingénieurs :
« Les élèves issus de classes préparatoires sont plus forts en science fondamentale, alors que les élèves en provenance d’IUT ont des connaissances techniques. Cela crée une dynamique pédagogique intéressante. »
Il demeure toutefois que toutes les grandes écoles n’ont pas la même exigence en matière de sélectivité. « Il faut que la promesse d’un accès privilégié à l’emploi soit conservée », rappelle M. Fiorina. A titre d’exemple, l’Essec a proposé 395 places aux élèves de prépa à la rentrée 2017, et un peu plus d’une cinquantaine à des étudiants français et internationaux, via les admissions sur titres français et international.
Pour la grande école francilienne, pas question de franchir la porte avec un BTS. Les candidats doivent être déjà titulaires d’une équivalence bac + 4 pour intégrer l’école en master 1 (bac + 4 également). Triés sur le volet, ils doivent convaincre l’école de la pertinence de leur projet de management, quelle que soit leur provenance ou leur formation initiale : économie-gestion, sciences, sciences humaines, pharmacie… c’est ce mélange d’étudiants aux parcours et aux compétences multiples qui doit produire l’alchimie de l’excellence.
HEC, aux tout premiers rangs mondiaux des « business schools » selon les classements internationaux, demeure, elle aussi, surtout fidèle aux classes préparatoires. « C’est grâce à ce concours que nous avons créé la qualité d’HEC », souligne Julien Manteau, directeur de la stratégie et du développement :
« Nous sommes toujours impressionnés par les élèves que nous recrutons via les classes préparatoires ; leurs qualités d’analyse, de synthèse, de conceptualisation sont bluffantes. »
A l’exception de passerelles ouvertes pour quelques dizaines d’élèves via des partenariats avec Sciences Po, Paris-I en droit et quelques écoles d’ingénieurs, la voie royale des prépas constitue la meilleure chance pour un étudiant français d’intégrer cette grande école. « Mais il existe d’autres écoles et des bonnes, insiste Quentin Darmaillac, et pour les rejoindre, il ne faut pas hésiter à choisir les admissions parallèles. »