Olivier Niggli, directeur de l’Agence mondiale antidopage, le 21 mars 2018, à Lausanne. / JEAN-CHRISTOPHE BOTT / AP

L’Agence mondiale antidopage (AMA) ne voit pas encore le bout du tunnel russe. Le Comité olympique russe a certes retrouvé sa place au Comité international olympique après une courte suspension de deux mois pour avoir mis en place, durant plusieurs années, un programme de dopage organisé avec l’aide de services de l’Etat. L’Agence russe antidopage (Rusada) a certes repris du service dans le pays et gère, sous la surveillance d’experts étrangers, un programme de contrôles qui monte en puissance. A la tête depuis septembre 2017 d’une direction renouvelée, le quinquagénaire Youri Ganus lui donne une façade plus crédible.

Mais la Rusada n’est toujours pas jugée conforme par l’AMA, faute de remplir deux critères : la reconnaissance officielle du rapport de Richard McLaren, qui en 2016 détaillait la triche organisée, et l’accès au laboratoire de Moscou, où seraient mis sous scellés plusieurs milliers d’échantillons qui pourraient permettre de confondre des sportifs russes dopés. Face à cette situation de blocage, la question russe a de nouveau été au centre du symposium annuel de l’AMA, mercredi 21 mars à Lausanne, et de l’interview accordée par son directeur général, Olivier Niggli, au Monde.

La Coupe du monde de football commence dans trois mois en Russie, un pays qui reste mis au ban de l’Agence mondiale antidopage. Cela vous pose-t-il un problème ?

Evidemment, ce serait mieux si la Russie était de retour en conformité et que les problèmes étaient résolus. Mais la Coupe du monde a été attribuée à la Russie bien avant que l’affaire sorte. Donc ce qui se passe n’est pas contraire aux règles, d’un point de vue strictement légal.

Et du point de vue de la personne chargée du respect de la lutte antidopage dans le monde ?

Oui, je trouve dommage que la Russie ne voie pas l’importance du message que ça pourrait envoyer si elle était de retour en conformité avant cette Coupe du monde.

Que pensez-vous de la réintégration rapide du comité olympique russe par le CIO, après les JO de Pyeongchang ?

Il n’y avait pas de surprise dans cette décision, qui était annoncée dès le mois de décembre. C’était attendu. Les deux cas positifs russes à Pyeongchang ne proviennent pas du système, ce sont probablement des cas individuels. Maintenant, j’espère que le CIO va continuer à nous soutenir dans l’accomplissement de notre feuille de route pour la réintégration de la Rusada.

« Grosso modo, la Rusada est une bonne agence »

Avez-vous confiance dans les contrôles qui sont faits aujourd’hui en Russie ?

Le paradoxe de la situation actuelle, c’est que beaucoup de travail a été fait pour remettre la Rusada sur les rails. Il a été bien fait, financé par les Russes, et aujourd’hui la Rusada, même si des experts internationaux sont encore là-bas et que l’Agence britannique antidopage les aide, fait du bon travail. Grosso modo, c’est une bonne agence. Les tests effectués là-bas, les nouveaux contrôleurs formés, nous satisfont. Ils ont réglé le problème des cités fermées [villes à l’accès restreint, voire interdit, aux étrangers en raison de leur rôle militaire], donc il n’y a plus d’endroit où les contrôleurs ne peuvent pas aller.

Mais la Rusada reste en non-conformité, car certaines conditions fixées depuis le début ne sont toujours pas remplies. Tout va dans le bon sens, il faut maintenant régler les deux derniers points.

Le système interne du laboratoire de Moscou, que l’AMA a récupéré, contenait un millier d’échantillons suspects concernant 60 fédérations internationales. Parmi elles, la FIFA, qui a en main des cas de footballeurs russes. Pouvez-vous être certain que ces cas seront traités d’ici au début de la Coupe du monde ?

La FIFA, sur cette question russe, a été proactive. Elle a été la première fédération à nous approcher quand on a annoncé que Grigory Rodchenkov [ancien directeur du laboratoire de Moscou, qui a servi de lanceur d’alerte dans l’affaire de dopage russe] serait potentiellement disponible pour aider. Ils ont leur propre commission d’enquête. On va voir ce qu’ils vont faire des cas, mais je n’ai pas de raison de penser qu’ils ne font pas les choses comme il faut avant la Coupe du monde.

Pour un certain nombre d’athlètes, l’information dans le LIMS [Laboratory Information Management System – système de gestion de l’information du laboratoire] pourra suffire à sanctionner. Pour d’autres, il faudra d’autres indices, de nouveaux tests sur d’autres échantillons peut-être. Pour certains athlètes, enfin, il n’y aura pas assez d’éléments.

« Christopher Froome joue dans les règles »

Le cycliste britannique Christopher Froome fait depuis six mois l’objet d’une procédure pour un contrôle antidopage anormal et pourrait malgré tout disputer les plus grandes courses avant qu’une décision soit rendue. N’est-ce pas un échec du code mondial antidopage ?

Non, il faut respecter les droits des athlètes. Il y a un processus disciplinaire avec un droit de se défendre et d’être jugé. C’est un cas pour lequel il n’y a pas de suspension provisoire obligatoire, à partir de là tout le monde joue dans les règles, c’est comme ça.

Ne devrait-il pas y avoir un délai maximal pendant lequel le cas doit être tranché, au moins en première instance ?

Ce serait bien, dans l’idéal, mais on a renoncé, quand on a écrit le code, à fixer un délai maximal. Car certains cas demandent plus d’investigation, plus d’expertise. Il ne faut pas que le système soit abusé, qu’il y ait des manœuvres dilatoires mises en place, et c’est le rôle des arbitres de gérer leur procédure de façon adéquate pour éviter que ça traîne de façon injustifiée. Mais il faut aussi respecter le droit de l’athlète à se défendre.