Christian Clot, explorateur des frontières de l’humain
Christian Clot, explorateur des frontières de l’humain
Par Julia Zimmerlich
L’explorateur publie le récit de la mission « Adaptation » : quatre expéditions de trente jours en solitaire, dans les milieux les plus extrêmes du globe.
Dès la deuxième page du livre, on retient son souffle. Nous sommes au milieu des eaux glacées de la Patagonie chilienne, tandis que souffle le terrible williwoo, un vent dont les rafales atteignent jusqu’à 200 km/h et qui a l’effet de « mille poignards plantés dans le corps ». Dans ce théâtre apocalyptique du bout du monde, Christian Clot est là, solidement accroché à la vie dans son kayak. Et ce n’est que le début de ce récit d’aventures, qui se dévore d’un trait.
Mais comment va t-il survivre ? Cette question est au centre des travaux de Christian Clot, cet insatiable explorateur qui vient de publier Au cœur des extrêmes. Braver les quatre milieux les plus hostiles de la planète pour éprouver les capacités humaines d’adaptation. (éd. Robert Laffont). D’août 2016 à février 2017, le Franco-Suisse, âgé de 46 ans, a traversé successivement quatre des milieux les plus extrêmes du globe, de par leur climat ou leur variabilité. A chaque fois, il a testé sa résistance dans ces milieux pendant trente jours, avec quinze jours de pause entre chaque. Nom de la mission : « Adaptation ».
Ce voyage dantesque, on ne le souhaiterait à personne tellement il semble surhumain. Christian Clot a arpenté le désert du Dasht-e Lut, en Iran, par 70 °C au soleil et 3 % de taux d’humidité. Il a connu les canaux marins de Patagonie, avec un taux d’humidité qui frôle 100 %, une eau à 3 °C et un temps extrêmement versatile. Il s’est plongé dans l’enfer vert de la forêt amazonienne du Brésil et a traversé le théâtre des monts de Verkhoïansk, en Russie orientale, et alors qu’il faisait – 55 °C sous la tente. Une partie de poker avec la mort à chaque expédition.
ZEPPELIN
« Que se passe t-il dans notre cerveau confronté à ce genre de crise ? Qui sommes-nous lorsque, soudainement, nous nous rendons compte que la situation proposée par l’existence dépasse nos capacités ? » Voilà les questions auxquelles Christian Clot a voulu répondre avec ce programme. Il était entouré d’une armada de scientifiques et chercheurs, reconnaissants d’avoir le cobaye idéal, prêt à risquer sa vie pour la science.
Car l’explorateur est un jusqu’au-boutiste. Pour se rapprocher au plus près des situations de crises réelles, impossibles à reconstituer en laboratoire, il est parti sans téléphone, sans balise, sans aucun contact avec le monde extérieur. « Dans ces moments de la vie où tout peut basculer, où l’on se retrouve face à quelque chose d’insurmontable, nous sommes obligés de nous adapter… ou de mourir physiquement ou intellectuellement. Pourquoi certains y parviennent et pas d’autres ? Que se passe t-il dans leur cerveau ? Quelles sont les clés qui font la différence ? », poursuit l’explorateur.
Malgré les apparences, « Christian n’est pas une tête brûlée, commente Jérémy Roumian, son précieux directeur des opérations. Chaque détail est réglé au millimètre. Ensemble, nous imaginons pendant des mois les scénarios du pire pour qu’une fois sur le terrain, il dispose d’un maximum de solutions. » Pour toute l’équipe, chaque départ est teinté de joie et de fierté d’avoir réussi à mettre sur pied une organisation ultracomplexe, parfois dans des pays instables politiquement. La peur au ventre, ils attendent alors l’appel libérateur, trente jours plus tard de Christian, revenu, vivant, à la civilisation.
Le frisson de l’exploration
Christian Clot a grandi à la campagne, aux côtés de ses deux frères aînés, dans une maison entourée d’une forêt. Une histoire contrariée avec l’école le pousse à arrêter très tôt ses études et à flirter avec les extrêmes. A 16 ans, il annonce à ses parents qu’il part pour le Canada avec un ami. Pour la première fois de sa vie, il est le moteur de ses choix. Désormais il ne pense plus qu’à une seule chose : repartir. Il multiplie les voyages jusqu’en 1999 où, lors d’un tour du Népal à pied, il découvre une région qui n’a encore jamais été cartographiée et décide de devenir explorateur.
En 2004, avec deux collègues, il s’attaque à la Terre de Feu et à la cordillère Darwin, au Chili. Un endroit terrifiant où personne n’est encore jamais rentré. Pendant treize jours, ils restent bloqués dans leur tente, pris dans une tempête incessante. Ces deux semaines qui paraissent une éternité lui font prendre conscience que l’on connaît si peu l’humain. Dès lors, il n’aura de cesse de tester les limites de l’humain, et sa résistance à la souffrance, la peur, le froid, l’isolement…
Le travail de Christian Clot est traversé par l’œuvre de Charles Darwin (auquel il a consacré une BD, publiée chez Glénat) et les changements climatiques inéluctables à venir. « Ce qui me fait repartir, c’est que je pense avoir quelque chose à apporter à l’humanité aujourd’hui, détaille l’explorateur. Mes travaux visent à une meilleure compréhension de notre cerveau, du rôle des émotions, de nos capacités insoupçonnées à faire face à des situations nouvelles. J’étais un immense pessimiste quant à notre avenir. Avec le temps, je suis devenu un immense optimiste. Le projet “Adaptation” est un message d’espoir. Demain s’il fait 36 °C ou – 20 °C, nous saurons nous adapter. »
Avant chaque départ, Christian Clot se soumet à des IRM avec l’équipe du professeur Etienne Koechlin, directeur du laboratoire de sciences cognitives de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm. Les mêmes scans sont réalisés après chaque milieu, et permettent ainsi une comparaison de ses réseaux neuronaux. Sur le terrain, par – 55 °C ou + 70 °C, en plus de lutter pour sa survie et de parcourir les milieux sur de longues distances avec 100 à 150 kg de matériel, il consacre jusqu’à deux heures par jour à différents protocoles de recherche : des tests cognitifs sur ordinateur, l’écriture d’un journal avec verbalisation écrite et orale de certaines émotions pour mesurer sa perception des événements et des relevés physio-cognitifs de référence qui permettent de suivre sa température, ses rythmes cardiaques et respiratoires, les taux de cortisol et diverses hormones et molécules… Des milliers de données qui sont toujours en cours d’exploitation.
Les premiers résultats montrent qu’en l’espace de trente jours, il y a bien des modifications au niveau du cerveau. « Les zones pariétales, les zones de la mémoire, ainsi que les zones émotionnelles ont été impactées, détaille t-il. Personne ne croyait à de tels changements sur une si courte durée. Plusieurs indicateurs tendent aussi à prouver que l’émerveillement est une clé pour dépasser une situation difficile. »
Cet émerveillement, c’est un oiseau minuscule qui virevolte devant sa tente, un rire libérateur en pensant à une case de BD d’Astérix ou un arc-en-ciel qui viennent atténuer sa souffrance physique ou élargir sa perception de son environnement. « Dans ces moments-là, il fait toujours aussi chaud, ou froid ou humide, et pourtant cela me donne la force et surtout la raison de continuer à lutter. Nous avons besoin de cette capacité à aimer pour avancer. Cela fait dix ans que j’y crois, et que je travaille quotidiennement ma capacité d’émerveillement, même dans les situations les plus difficiles. »
Pour valider ses hypothèses, Christian Clot prévoit de repartir en janvier 2019 pour la « Mission 20 » : 10 femmes et 10 hommes âgés de 25 à 45 ans, tous volontaires, prêts à se soumettre au même enchaînement infernal des quatre milieux. L’équipe est déjà constituée avec des habitués d’ultratrails et des sportifs occasionnels, des docteurs et des sans-diplôme… « C’est cette énergie de différenciation qui va rendre un groupe capable de faire quasiment n’importe quoi, ajoute l’explorateur. Si je partais avec 20 personnes ultraentraînées physiquement, je suis sûr que l’on n’arriverait pas au bout. Dans les difficultés, la capacité physique n’a plus aucune importance, ni l’intelligence. Seule la capacité d’adaptation compte. Si on met nos cerveaux en réseau, sans préjugés, on peut décupler collectivement nos capacités, qu’aucune intelligence artificielle ne pourra dépasser. »
Christian Clot interviendra lors du Festival de l’innovation Novaq.
Les 13 et 14 septembre 2018, la région Nouvelle Aquitaine, en partenariat avec Le Monde, organise deux jours de débats, conférences, pitchs et ateliers au H14, à Bordeaux.
Scientifiques, experts, entrepreneurs échangeront autour de trois grands thèmes : le cerveau, l’espace et l’océan. Fil rouge de cette édition : l’innovation au service de l’humain.