Coupe du monde 2018 : n’y a-t-il plus de grandes équipes ?
Coupe du monde 2018 : n’y a-t-il plus de grandes équipes ?
Le football de sélections apparaît en crise face à un football de clubs et explique les débuts poussifs des favoris au Mondial, estime notre chroniqueur Jérôme Latta.
Neymar lors du match du Brésil face à la Suisse, le 17 juin. / JASON CAIRNDUFF / REUTERS
Chronique. L’entame difficile de l’Espagne, du Brésil, de l’Argentine et de l’Allemagne suggère que les outsiders sont de mieux en mieux armés pour contrarier les favoris. Jusqu’à un certain point.
La qualification de l’Islande pour cette Coupe du monde allait offrir à d’autres continents le privilège de découvrir la sélection nordique – une expérience déjà vécue par l’Argentine, tenue en échec samedi à Moscou (1-1). Lors d’un Euro 2016 dans lequel elle avait fait sensation, ne s’inclinant qu’en quarts de finale contre la France après une fracassante élimination de l’Angleterre, tout a été dit et répété sur le miracle islandais, accompli malgré un tout petit nombre de licenciés grâce à un vaste plan de développement.
L’avantage d’être « petit »
Face à l’Argentine, on a retrouvé les vertus de cette équipe blonde et rustique, peu brillante, mais remarquable d’abnégation et d’intelligence collective. L’Islande refait du football un pur sport d’équipe, à l’inverse de son adversaire du soir, qui se contente de remettre le ballon et son destin dans les pieds de Lionel Messi.
On pourrait, par réflexe, invoquer l’antique adage « il n’y a plus de petites équipes » à propos des contre-performances des favoris pour leurs premiers matchs. Mais la Suisse, qui a tenu en échec le Brésil et le Mexique qui a battu l’Allemagne n’émargent pas vraiment dans cette catégorie.
La question est plus pertinente posée à l’envers : y a-t-il encore de grandes équipes ou, du moins, pourquoi rencontrent-elles autant de difficultés face aux outsiders ? Le football reste ce sport dans lequel les équipes présumées modestes peuvent toujours renverser un adversaire supérieur, mais cette singularité est de moins en moins vraie dans le football de clubs, où tout est fait pour sécuriser la domination des grosses écuries. Dans le football de sélections, la tendance est inverse – et les deux évolutions sont en partie liées.
Faire équipe
Le football de sélections apparaît en effet en crise face à un football de clubs dont il est de plus en plus admis que les meilleures équipes – avec leurs effectifs qui s’apparentent à des castings de stars – surpassent désormais celles des meilleures nations. Les tournois de la Coupe du monde et de l’Euro, placés au terme de longues saisons au cours desquelles les internationaux ont été sursollicités par leurs clubs, souffrent de l’usure physique et mentale de ces joueurs.
Les réaménagements des calendriers, depuis quelques années, n’ont rien arrangé en réduisant les temps de préparation des sélections, obligeant leurs coachs à improviser un projet tactique en comptant sur un amalgame plus ou moins spontané (ou, pour certaines comme l’Espagne et l’Allemagne, en s’appuyant sur des ossatures de joueurs évoluant dans les mêmes clubs).
Les « petites » formations, plus homogènes, moins sujettes aux problèmes d’ego – même si elles sont souvent emmenées par un ou deux leaders –, ont plus de chance de « faire équipe ». D’abord au travers de l’investissement des joueurs, pour lesquels la sélection a une importance plus exclusive. Ensuite grâce à la latitude plus grande, pour les sélectionneurs, de mettre en place sur la durée des projets de jeu cohérents et efficaces.
Les armes des pauvres
Dans ce contexte, les progrès tactiques tendent à profiter aux outsiders, comme une arme des pauvres contribuant au nivellement des valeurs. Pas nécessairement avec des philosophies négatives de destruction du jeu, mais en mobilisant une importante capacité à neutraliser les forces adverses tout en optimisant les siennes. Cela donne un football d’essence collective, efficace mais souvent joyeux – comme l’Islande, les Irlande ou le pays de Galles ont pu le démontrer il y a deux ans.
De là à voir un de ces underdogs aller très loin, il y a un pas que seuls les parieurs audacieux franchiront. Ces formations se configurent pour être prêtes dès les premières rencontres, alors que la montée en puissance des favoris est programmée sur la durée de la compétition. Le système des poules laisse en outre la possibilité de rattraper une contre-performance.
La victoire finale semble rester hors de portée des équipes surprises du premier tour, mais s’il faut chercher un vainqueur hors du cercle des huit grandes puissances déjà sacrées, on doit peut-être se tourner vers un des challengers présentant un profil hybride. Par exemple la Belgique, avec cette génération que l’on attend depuis longtemps au sommet, ou pourquoi pas l’Angleterre, dont la jeunesse compensera peut-être l’affaiblissement par l’hégémonie de la Premier League. Le Portugal, qui a contrarié l’Espagne vendredi (3-3), a trop défié les probabilités en 2016 pour que l’on mise encore sur lui.