Les SMS pleuvent. Depuis plusieurs semaines, en amont du coup d’envoi des soldes d’été 2018, ce mercredi 27 juin, les consommateurs ont reçu moult messages pour bénéficier « avant tout le monde » de remises « exceptionnelles » en magasin lors de « ventes privées », de « journées privilège » ou de « jours de fête ». Les distributeurs de mode et d’ameublement ont multiplié ces opérations promotionnelles à – 40 % ou – 50 % pour préempter les achats réalisés d’habitude lors des soldes d’été. Il le fallait pour écouler au plus vite des stocks de vêtements très importants.

« Le marché de la mode a replongé dans la crise », analyse Gildas Minvielle, directeur de l’Observatoire économique de l’Institut français de la mode (IFM). L’année 2017 avait laissé l’espoir d’une « rémission », les ventes d’habillement et d’articles textiles pour la maison ayant enregistré une augmentation de l’activité de 0,8 %. « Pour la première fois depuis dix ans, le marché était en progression », rappelle M. Minvielle. Tous les commerçants de mode espéraient renouer, enfin, en 2018, avec la croissance. Il n’en a rien été.

INFOGRAPHIE « LE MONDE »

Depuis janvier, la consommation est en recul. A fin mai, l’indice de l’IFM devrait s’établir à – 3,6 % en valeur, sur les cinq premiers mois de l’année, selon des estimations provisoires. Malgré la mode des sneakers et baskets, les ventes de chaussures sont à la peine. Le chiffre d’affaires des chaînes implantées en centre-ville a reculé de 4,17 % entre janvier et mai, selon la Fédération des enseignes de la chaussure. Dans son ensemble, le commerce spécialisé souffre, reconnaît Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos, la fédération professionnelle pour la promotion du commerce spécialisé. En mai, l’indice établi à partir des données des membres de cet organisme est en recul de 4,8 % par rapport à mai 2017 et de 2,2 % depuis janvier, toujours selon Procos.

Montée en puissance du e-commerce

Partout en France, la consommation d’habillement et de chaussures est faible. A en croire plusieurs spécialistes, les difficultés du secteur seraient plus prononcées encore dans les magasins en province qu’à Paris et en Ile-de-France. « Il y a une grande disparité », confirme M. Minvielle. Les pôles commerciaux des villes de taille moyenne seraient davantage « concurrencés » par la montée en puissance du e-commerce que les grands centres commerciaux régionaux et les rues commerçantes des grandes villes, selon le délégué général de Procos.

A Paris, boulevard Haussmann, la clientèle de touristes étrangers est bel et bien de retour. Elle permet au Printemps d’afficher une croissance d’activité à « un chiffre », admet Pierre Pellarey, directeur du grand magasin parisien. Mais, en province, les clients se font plus rares. L’écart de croissance constaté dans les autres magasins Printemps serait de « 1 à 2 points » par rapport à celui du boulevard Haussmann. Cette disparité se ressent aussi dans les centres commerciaux. Les plus grands résistent. Les équipements de centre-ville peinent davantage, admet Gontran Thüring, délégué général du Conseil national des centres commerciaux (CNCC). Pour tous, l’activité est « erratique » depuis le début de l’année 2018. Le CNCC estime le recul d’activité à 0,4 % sur le premier trimestre 2018, soit – 1,3 % sur douze mois à fin mars.

Les dossiers de magasins de mode à céder s’accumulent

Ce marasme porte à conséquences. En ville et dans les centres commerciaux, les surfaces commerciales vacantes sont plus nombreuses, déplore Procos. Les dossiers de magasins de mode à céder s’accumulent, reconnaît le dirigeant d’une enseigne. Et, à l’instar de Carrefour qui va fermer 243 magasins en France, faute d’avoir trouvé preneur pour les ex-Dia, plusieurs enseignes peinent à céder leurs magasins déficitaires. Placée en redressement judiciaire en février, Chaussexpo, enseigne de 200 magasins de chaussures détenue par la famille Desmazières, cherche toujours un repreneur.

Les bailleurs sont aussi confrontés à la défaillance de plusieurs enseignes spécialisées, dont Toys R Us, enseigne américaine qui exploite 53 magasins en France, et La Grande Récré qui va fermer 62 de ses 166 magasins. A tel point que Procos incite les bailleurs à une plus grande vigilance. « Il faut réadapter les charges des enseignes à l’évolution du chiffre d’affaires », estime M. Le Roch. A défaut, les fermetures de magasins pourraient se multiplier.

Toutefois, plusieurs enseignes d’entrée de gamme tirent leur épingle du jeu. A Paris, H&M rencontre un vif succès depuis la réouverture, le 20 juin, de son magasin de la rue Lafayette. Dans ses treize unités implantées en France, son concurrent Primark, spécialiste de la mode à bas prix, attire toujours les foules.

Et les enseignes de solderie s’imposent sur le marché de la mode comme elles ont réussi sur ceux des shampooings, lessives et accessoires pour la maison, analyse Kantarworldpanel. Près de 40 % des Français fréquentent désormais ces réseaux qui pratiquent des prix bas toute l’année. Parmi eux figurent Action, Noz, Babou ou Stokomani. Signe des temps : cette dernière s’apprête à reprendre sept magasins C & A que l’enseigne néerlandaise a annoncé en février vouloir fermer en France. Ce spécialiste du déstockage reprendra aussi cinq magasins de l’enseigne d’ameublement Fly qui ferme 23 de ses magasins. Tous sont situés dans des villes de taille moyenne comme Colmar, Perpignan et Evreux.