Coupe du monde 2018 : un Sénégalais dans la ville
Coupe du monde 2018 : un Sénégalais dans la ville
Par Anthony Hernandez (Samara (Russie), envoyé spécial)
Débarqué en Russie pour ses études, Alioune Badara Ndiaye évoque ses premiers pas à Samara. Son pays, le Sénégal, joue jeudi face à la Colombie dans sa nouvelle ville.
Alioune Badara Ndiaye à l’exposition d’un photographe sénégalais organisée à l’Alliance française de Samara. / A. H.
Alioune Badara Ndiaye serait le premier étudiant sénégalais à Samara. C’est en tout cas ce qu’on lui a affirmé quand il a débarqué il y a à peine un mois de son Dakar natal à l’Université aérospatiale de la ville. Pour être honnête, il avait plutôt rêvé de la France pour poursuivre ses études de droit. Devant les refus essuyés, cet enfant de la classe moyenne sénégalaise s’est résolu à voir plus loin. Cet horizon lointain se situe au confluent de la Volga et de la Samara, à plus de 850 km au sud-est de Moscou.
Un ami, compatriote, qui habite à Kazan, lui a trouvé une place en logistique aérienne (il avait aussi étudié la logistique au Sénégal). Pur hasard, l’équipe de football du Sénégal joue justement, jeudi 28 juin, son troisième match dans sa nouvelle ville d’adoption. Un nul contre la Colombie suffirait pour que les Lions de la Teranga rejoignent les huitièmes de finale. Le jeune homme espère trouver une place, lui qui rêve de voir un match de Coupe du monde autrement que devant la télévision.
La première année universitaire sera consacrée à l’apprentissage du russe. Pour le moment, c’est Lost in translation. « Nous, Sénégalais, sommes habitués à la langue française. Ici, les gens ne parlent pas français. Et l’anglais, c’est seulement un peu, “a little”, me répondent-ils », explique le jeune homme.
Alioune Badara Ndiaye se prête volontiers aux nombreuses demandes de photos. / A. H.
Samara lui était inconnu. Grâce à Internet, il a appris que la ville est restée longtemps fermée aux étrangers après la seconde guerre mondiale. Elle comptait de nombreux centres scientifiques de recherche. Les fusées Soyouz sont encore fabriquées ici. « Je trouve la ville très développée. L’université est très grande. Mon logement est un peu archaïque mais ça me convient, dit Alioune. Je vis avec deux étudiants russes qui sont adorables avec moi. Ils m’aident avec la langue et respectent même mes prières en arrêtant d’eux-mêmes la musique par exemple. »
Il suffit de se promener dix minutes en compagnie de l’étudiant pour assister à de surprenantes scènes. Tous les 100 mètres, il est salué, on lui sourit. Même les policiers viennent lui parler. On lui demande sans arrêt des photos. Le jeune homme se prête de bonne grâce à cet exercice. Il a le contact facile, toujours aimable. Comme sur cette plage du centre-ville, en bord de Volga, où des voisins de sable tentent de communiquer avec lui. L’occasion pour lui de placer le vocabulaire qu’il a déjà appris.
Star des selfies
« On m’avait dit qu’il y avait des racistes en Russie. Je n’ai pas ressenti ça pour le moment. Les gens essaient de parler avec moi. Ils me demandent comment je trouve leur ville, si l’on peut faire une photo, confie le Sénégalais. Cela ne me dérange pas. Je comprends leur curiosité. Ils n’ont pas l’habitude de voir des Noirs. »
A gauche de l’image, Julie et Amadou ont constaté le même phénomène qu’Alioune. / A. H.
Soudain, Alioune aperçoit un maillot sénégalais au loin. Amadou et sa copine Julie, dreadlocks aux couleurs sénégalaises, viennent de Bordeaux. Ils suivent le parcours des Lions de la Teranga. Ils racontent tous deux la même expérience : « Depuis notre arrivée en Russie, nous n’arrêtons pas de poser pour des photos, même à Moscou. A Ekaterinbourg, dans un restaurant, les gens se sont succédé pendant plusieurs minutes… »
Bien sûr, le phénomène est amplifié par la Coupe du monde, mais l’étudiant y a été confronté depuis son arrivée en ville. Fier, il a apporté dans ses bagages tout un lot de tee-shirts et de bracelets aux couleurs sénégalaises. « Je sors tout le temps habillé ainsi. Les gens s’intéressent. Je veux montrer mon pays à la Russie », déclare ce représentant officieux mais non moins efficace du Sénégal.
Aujourd’hui, le jeune homme ne sera pas le seul porte-drapeau. Quelques centaines de supporteurs sont attendues. Une paille face aux plus de 20 000 Colombiens qui ont déjà commencé à envahir les rues. A l’Alliance française de Samara, où on l’a convié à visiter une exposition d’un photographe sénégalais, Alioune a eu l’occasion de rencontrer le plus éminent de ses compatriotes, l’ambassadeur Abdou Salam Diallo, qui a quitté Moscou pour le match.
Une nuée de photographes amateurs à Ekaterinbourg mitraillent Amadou et Julie. / JULIE TUAILLON / « LE MONDE »
Rencontre avec l’ambassadeur du Sénégal
Très à l’aise, ce diplomate, qui fut conseiller de plusieurs ministres à Dakar, est en poste depuis un an et demi en Russie. « Nos ressortissants n’ont pas la culture de s’immatriculer auprès de nos services. Ils viennent nous voir seulement en cas de problème. Du coup, nous n’avons pas de statistiques précises sur leur nombre. Par exemple, je ne connaissais pas Alioune, je ne savais même pas qu’il était là », dit-il en plaisantant.
L’étudiant Alioune a rencontré l’ambassadeur du Sénégal à l’Alliance française de Samara.
L’ambassadeur estime tout de même à pas plus de 200 la communauté sénégalaise, dont la moitié d’étudiants : « Du temps de l’URSS, les Sénégalais étaient beaucoup plus nombreux. C’était un vrai paradis pour les étudiants africains, qui bénéficiaient parfois de meilleures conditions que les étudiants locaux eux-mêmes. »
Alioune Badara Ndiaye constitue peut-être l’avant-garde d’un renouveau des liens entre le Sénégal et la Russie. Deux semaines après son exil, il a eu la surprise d’accueillir deux compatriotes à l’Université aérospatiale. Insuffisant pour former un Little Dakar mais parfait pour discuter du pays.
Ce message d’encouragement aux Lions de la Teranga est offert gracieusement par M. l’ambassadeur du Sénégal en Russie.
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