Au Soudan du Sud, les frères ennemis prêts à gouverner ensemble
Au Soudan du Sud, les frères ennemis prêts à gouverner ensemble
Par Laurence Caramel
Le président Salva Kiir et son rival Riek Machar ont signé un accord de paix, mais des questions restent en supsens.
Faut-il y croire cette fois-ci ? Après cinq ans de guerre civile, de cessez-le-feu violés et de compromis politiques avortés au Soudan du Sud, un nouvel accord a été signé, dimanche 5 août, entre le président Salva Kiir et son rival Riek Machar. Longtemps liés par leur combat commun pour l’indépendance vis-à-vis de Khartoum au sein de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA), les deux hommes président aux destinées de la plus jeune nation de la planète depuis sa création en 2011... et à sa brusque descente aux enfers.
Car leur entente n’aura pas duré plus de deux ans une fois arrivés au pouvoir. Fin 2013, l’ambition affichée de Riek Machar de briguer un mandat présidentiel contre Salva Kiir fait basculer leur rivalité en conflit armé. Accusé de tentative de coup d’Etat, celui qui occupait jusqu’alors le poste de vice-président se voit contraint de prendre le maquis avec ses partisans. Salva Kiir organise la répression, qui cible en particulier les populations nuer, la communauté dont est originaire Riek Machar.
Les combats ont fait des dizaines de milliers de morts et des experts indépendants rapportent des exactions à l’encontre des civils dans les deux camps. Quatre millions de personnes, soit un quart de la population, ont dû quitter leur foyer. La majorité d’entre elles ont fui dans des Etats voisins. Le Soudan du Sud fait partie des quatre pays pour lesquels les Nations unies ont alerté dès février 2017 sur des risques de famine. L’aide ne peut être distribuée aux populations les plus vulnérables, notamment dans la province d’Unité, dans le nord du pays. Et plus d’une centaine de travailleurs humanitaires ont été tués lors de l’attaque de leurs convois.
« Les civils souffrent d’une manière inimaginable. Le processus de paix n’a jusqu’à présent rien produit. Les cessez-le-feu sont une fiction. Les belligérants usent de la tactique de la terre brûlée, des assassinats et des viols comme armes de guerre », constatait Mark Lowcock, le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires des Nations unies, de retour de mission, mi-mai.
L’économie est exsangue
Les pressions des Nations unies – dont le Conseil de sécurité vient de voter un embargo sur les armes – et des pairs africains sont finalement parvenues à contraindre les deux parties à un compromis. L’Ethiopie, à la tête de l’Autorité intergouvernementale pour le développement en Afrique de l’Est (IGAD), s’est montrée un médiateur actif, mais c’est à Khartoum, au Soudan, que les deux adversaires ont apposé leur signature au texte final.
Après le cessez-le-feu annoncé le 30 juin, Salva Kiir et Riek Machar, qui ne s’étaient pas rencontrés depuis l’accord avorté de 2016, ont accepté de s’engager pour former, d’ici trois mois, un gouvernement d’unité nationale. M. Machar, en résidence surveillée en Afrique du Sud, doit retrouver son poste de vice-président au côté de M. Kiir, dont le mandat a été prolongé de trois ans par le Parlement le 13 juillet. Le futur gouvernement sera composé de 35 ministres, dont 20 issus du groupe de Salva Kiir et 9 de celui de Riek Machar.
Le document prévoit également que les deux camps retireront leurs troupes des zones urbaines et qu’une coopération s’engagera entre les deux Soudan pour réhabiliter les champs pétroliers dévastés par le conflit dans la province d’Unité. Le pétrole constitue la principale source de revenus pour les autorités de Juba. L’or noir, moyennant une taxe, est exporté via l’oléoduc qui traverse le Soudan jusqu’à Port-Soudan. La production a chuté de 350 000 barils par jour avant le conflit à 120 000 aujourd’hui et l’économie est exsangue.
De nombreux points – comme l’intégration des forces armées de Riek Machar – restent cependant en suspens et doivent faire l’objet de discussions. MM. Kiir et Machar en auront-ils le temps ? En 2016, leur alliance n’avait résisté qu’à peine trois mois. Sans illusions, la plupart des observateurs estiment qu’il n’existe pas, à court terme, d’alternative à une entente forcée entre ces deux figures incontournables. « Le choix n’est pas entre ce processus et un autre qui serait meilleur, mais entre celui-ci et rien d’autre », commentait récemment International Crisis Group, une ONG spécialisée dans l’analyse et la prévention des conflits.