Une rentrée mystique pour l’Orchestre de Paris
Une rentrée mystique pour l’Orchestre de Paris
Par Marie-Aude Roux
Après un magnifique « Psaume 129 » de Lili Boulanger, la baguette de Daniel Harding livre une « Cinquième symphonie » de Bruckner dévitalisée.
Le chef d’orchestre Daniel Harding. / JULIAN HARGREAVES / PHILHARMONIEDEPARIS.FR
Rentrée sous le signe de l’éclectisme pour l’Orchestre de Paris, qui a entamé, mercredi 12 septembre, sa dernière saison avec son directeur musical, Daniel Harding, lequel quittera ses fonctions, à sa demande, après un mandat de trois ans, en juin 2019. On imagine que les choses ne doivent pas être si simples entre le chef d’orchestre et ses musiciens, qui perdent coup sur coup leur directeur musical (le Britannique leur a élégamment fait savoir que leur côté latin n’était pas son genre) et leur indépendance – l’Orchestre de Paris doit fusionner structurellement avec la Philharmonie de Paris d’ici à janvier 2019.
Comme l’année précédente avec Purcell et Mahler, le chef britannique, qui a intégré le Chœur de l’Orchestre de Paris au programme, plébiscite le grand écart stylistique à défaut du rapprochement iconoclaste. Après le beau motet Christus mortuus est de Josquin des Près, chanté a cappella par six pupitres d’hommes dans un continuum sensuel (que l’acoustique analytique de la Philharmonie habillera d’un curieux contrepoint de sons chuintants), le magnifique Psaume 129 de Lili Boulanger, « Ils m’ont assez opprimé dès ma jeunesse ». Une musique composée au mitan de la Guerre de 1914-1918 par la petite sœur de la grande pédagogue, Nadia Boulanger, disparue à 26 ans il y a juste cent ans, déploration au lyrisme véhément, dotée d’une orchestration puissante et d’harmonies luxuriantes, et dont le langage, voisin de celui de Fauré et de Duruflé, démontre la force et l’originalité.
La densité tragique de cette pièce brève, cri de révolte et de douleur lancé à la face du ciel, peut préfacer en quelque sorte celle que Bruckner aurait appelée « la Fantastique », peut-être parce qu’il ne l’entendit jamais, la gigantesque Symphonie n°5, réflexion théologique autour du mystère de la foi, du rapport de l’homme à dieu, inusitée aussi bien par ses proportions que par la complexité de sa forme.
Absence de lyrisme
Dès le premier mouvement, on comprend que la direction raffinée et pointilliste de Harding, non dénuée d’un certain maniérisme, refusera le monumental pour privilégier une sorte d’élégance chambriste, s’attachant au mystère du non-dit plutôt qu’au désespoir de celui qui doute. Tous les passages élégiaques ou retenus sont souplement mis en valeur, mais l’absence de lyrisme deviendra criante au fur et à mesure qu’on avance dans l’œuvre.
Le deuxième mouvement, sans doute happé par trop de transcendance, distillera même un certain ennui, malgré l’intelligence du propos, les belles interventions des vents (le solo de hautbois en forme de lied populaire) et les effets contrastants de pleins jeux d’orgue soufflés par l’orchestre. Même absence de pulsion vitale et de dynamisme primaire dans le très viennois « Scherzo, molto vivace » qui enchaîne sans crier gare. Les fameux longs « tunnels brucknériens » que l’on croyait désormais cantonnés aux dires surannés de musicologues plus ou moins obtus, semblent revenus au goût du soir. Comme si Harding refusait la part terrestre de cette musique, qui convoque sans rubato ni épanchement rythmique des danses comme la valse salonnarde ou le « Ländler » paysan.
Le dernier mouvement, après reprise cyclique de l’« Adagio » initial (du premier mouvement) – véritable hymne au contrepoint avec ses deux fugues puissamment développées – poussera cette baguette somme toute rétive à l’épopée dans ses derniers retranchements. C’est heureux pour l’auditeur qui aura bien mérité son apothéose finale, quand bien même sera-t-elle comme délivrée à regret.
Christus mortuus est, de Josquin des Près. Psaume 129 pour chœur et orchestre de Lili Boulanger. Symphonie n°5 en si bémol majeur de Bruckner. Chœur de l’Orchestre de Paris, Orchestre de Paris, Daniel Harding (direction).
Disponible en streaming sur Radioclassique.fr jusqu’au 13 décembre.
Prochains concerts Ives, Bartok, Berlioz, Janacek, avec Renaud Capuçon (violon), Stéphanie d’Oustrac (mezzo), Vincent Warnier (orgue), Jakub Hrusa (direction) les 19 et 20 septembre à 20h30. Philharmonie de Paris, Paris-19e. Tél. : 01-44-84-44-84. De 10 € à 50 €. Philharmoniedeparis.fr