« Nos batailles » : les affres de Romain Duris en père à tout faire
« Nos batailles » : les affres de Romain Duris en père à tout faire
Par Clarisse Fabre
Le réalisateur Guillaume Senez dépeint le quotidien d’un homme seul avec ses deux enfants.
Du Péril jeune (1994), de Cédric Klapisch, au péril des jeunes pères, le comédien Romain Duris a grandi, et le voici incarnant une certaine fragilité masculine dans Nos batailles, de Guillaume Senez. Acteur générationnel, le rebelle est devenu un « quadra » ; il joue le rôle d’Olivier, qui a choisi l’attelage à quatre : il a deux enfants et vit en couple. Ou plutôt vivait.
Mais l’heure n’est plus à la chronique de la séparation, ni à la dispute sur la garde des bambins. Si le deuxième long-métrage de Guillaume Senez, présenté en séance spéciale à la Semaine de la critique du Festival de Cannes, en mai, a une dimension postmoderniste, il le doit d’abord à son scénario, coécrit par le réalisateur et Raphaëlle Valbrune-Desplechin.
La mère est partie, c’est un fait et on n’en parle plus, du moins dans la tranche de vie que l’on partage avec Olivier, contremaître dans un entrepôt de vente en ligne, et ses quelques proches qui viennent lui prêter main-forte : sa mère, présence discrète et décisive (Dominique Valadié), sa sœur, légère comme une bulle d’air (Lætitia Dosch), et sa collègue de travail, généreuse et syndiquée comme lui (Laure Calamy). Ainsi allégé du prévisible « suspense » lié au devenir du couple, le film s’emballe de manière plus aventureuse au nouveau rythme d’Olivier : passé le choc, il est tenu par des fils invisibles qui à la fois le brident et le structurent, telle une marionnette qui découvrirait, stupéfaite, qu’elle est apte à débuter un mouvement qui lui est propre. Olivier doit continuer à travailler, à assurer le quotidien de deux jeunes enfants, à effectuer des choix dans son travail et même à faire face à un dilemme, lequel fera encore ricocher le scénario.
Paradoxe au sein du couple
L’histoire a déjà été racontée mille fois du côté de la femme. L’image de la compagne et mère délaissée est usée jusqu’à la corde, et il ne suffit pas de changer le sexe du personnage principal pour faire du neuf. Nos batailles, titre viril au second degré, n’échappe pas au cliché du père emprunté qui, au début, ne sait pas quoi faire à manger aux enfants et se mélange les pinceaux dans leur garde-robe – c’est quoi déjà ce fichu pull panda ?
C’est un peu caricatural, mais peut-être le réalisateur a-t-il voulu souligner ce paradoxe au sein du couple hétérosexuel contemporain : nombre d’hommes sont tout à fait capables de tenir des discours égalitaires, mais, dans les faits, bien souvent les vieux schémas prennent le dessus. Soit parce que l’homme ne s’autorise pas à rentrer plus tôt du travail, soit parce que certaines femmes pensent pouvoir cumuler le rôle de la mère « parfaite » et de la professionnelle accomplie… Mais c’est usant, ça ne marche pas toujours, Wonder Woman de toute façon n’existe que dans les bandes dessinées, et, un beau jour, elle s’échappe et disparaît au coin de la page. Fin de l’histoire ?
Dans Nos batailles, le récit continue. C’est la sœur, fantasque à souhait (Lætitia Dosch fait merveille) qui découvre la vie de famille et lance à moitié hilare à son frère : « Putain, je comprends qu’elle soit partie ! » C’est la mère qui finit par raconter qu’elle aussi a rêvé de quitter la bulle… La planche à dessins se remplit de cases dont Olivier ne soupçonnait pas l’existence. La sphère professionnelle, où règnent la précarité, quelques coups bas et rebondissements cyniques, lui réserve aussi des surprises.
Le tissage de l’intime et du social se resserre lorsque Olivier et sa sœur confrontent leurs choix, l’un étant salarié permanent, l’autre intermittente du spectacle, cumulant des heures de travail avec des employeurs différents… C’est l’une des scènes les plus abouties, où les acteurs trouvent ce parler naturel que cherchait le réalisateur, avec une mise en scène tout à la fois calibrée et improvisée. Ce n’est pas la première fois que Romain Duris change de peau et surprend. Dans Nos batailles, Guillaume Senez a (presque) réussi à lui faire tomber son masque de charmeur au sourire automatique, tout en lui donnant le beau rôle.
NOS BATAILLES - Bande annonce
Durée : 01:52
Film belge et français de Guillaume Senez. Avec Romain Duris, Lætitia Dosch, Laure Calamy (1 h 38). Sur le Web : www.hautetcourt.com/film/fiche/329/nos-batailles