La publication des « Football Leaks » a ouvert la boîte de Pandore et la porte des enfers. Du moins celle de l’enfer du supportérisme sectaire et du journalisme auxiliaire, deux légions redoutables qui se sont lancées à l’assaut de la « cabale » contre le PSG. En usant de leur meilleure arme : crier pour ne rien entendre.

Si de nombreux supporteurs parisiens ont pris les événements avec circonspection mais lucidité, une fraction d’entre eux a un peu perdu la tête, comme si ce n’étaient pas les dirigeants de leur club qui étaient mis en cause, mais leur propre famille. Le délire fut poussé sur Twitter jusqu’à un hashtag #TouchePasAMonClub.

Si la passion excuse sans doute ce manque de recul, il est plus ennuyeux que plusieurs journalistes spécialisés aient pris le même chemin. Avec, souvent, la ferme volonté de ne pas savoir et de ne surtout pas lire les articles concernés pour mieux les rejeter en bloc.

Complotisme et refoulement

La rhétorique du complot est puissante. Ici, celui-ci résulterait autant d’une obscure conspiration que de la « jalousie ».

Si le PSG est certes pris, comme son Etat-propriétaire, dans de vastes luttes géopolitiques, ses partisans sont pourtant assez peu fondés à le dire victime de persécutions : ses arrangements avec l’UEFA sur le fair-play financier, ou sa présence dans le projet de Super Ligue en témoignent.

Autre stratégie d’évitement, un brin plus sophistiquée : la posture blasée, qui compte de nombreux adeptes parmi les journalistes supporteurs : « On le savait, rien de nouveau », « Tout ça pour ça », à la manière du journaliste de RMC Daniel Riolo :

A ce stade, on bascule dans le déni. Car si l’on ne peut guère être sidéré par les informations quand on suit ce pan de l’actualité du football, celles-là documentent des aspects essentiels et repoussent les limites de ce que l’on croyait possible – qu’il s’agisse du fair-play financier, des projets de « Super Ligue » privée ou de l’utilisation de critères ethniques dans le recrutement du centre de formation du PSG.

D’autre part, si « on le savait », « on » aurait peut-être dû le dire ou enquêter. Sauf à cautionner les pratiques.

Au moins peut-on respecter la production de documents attestant ce que ces experts connaissaient souverainement sans daigner en faire part à leurs sujets.

Ombres et lumières

Certains ajoutent un peu de condescendance pour des confrères naïfs qui connaîtraient fort mal le football. Et qui ont l’impudence d’en dévoiler des pans qu’on trouve habituellement confortable de laisser dans l’ombre.

Autre manière d’éluder : « Ça se fait partout », à propos des critères ethniques. C’est possible, ainsi que l’affaire des quotas l’avait déjà suggéré, mais ce n’est pas moins déplorable pour autant. Que l’on sache, jamais un tribunal n’a exonéré quiconque au motif qu’un délit analogue avait été commis par d’autres, restés impunis.

En arguant que la composition de l’effectif parisien établirait l’absence de discrimination, certains font mine d’ignorer que les critères étaient appliqués hors de l’Ile-de-France, parce que celle-ci produit « trop » de Noirs… Mais aussi qu’aux origines (réduites à la couleur de peau) étaient associées des caractéristiques à la fois physiques, techniques et comportementales. Selon une pensée aussi bêtement que désespérément raciste.

Le fameux fichier ne fait cependant pas du PSG un « club raciste », et quasi personne ne porte ce genre d’accusation caricaturale. Mais il faut le prétendre pour dresser un écran de fumée. Sans surprise, le consultant de Canal+ Pierre Ménès réussit la performance, en une seule intervention, de compiler toutes ces méthodes de diversion.

Banaliser, oublier

On va également reprocher le « ton » et la « forme » des révélations. Etonnantes réserves : est-ce le moment de minauder devant des articles comportant suffisamment de documents, de données, de déclarations et de faits substantiels pour nourrir des analyses du fond ?

Il est tentant de voir dans ces réserves un peu d’embarras de la part de médias spécialisés qui ont toujours souffert – malgré des progrès significatifs – d’un déficit de culture d’investigation, s’agissant de ne pas altérer un spectacle sportif dont ils sont inévitablement les promoteurs.

Le plus troublant, en définitive, est que ces réactions s’apparentent à un appel à tout trouver normal, en un mélange de capitulation et de fatalisme. Il ne restera vite que « des affaires qui vont dégonfler en trois jours », prédit Daniel Riolo. S’en réjouit-il, se rend-il compte que cette capacité du football à tout digérer sans débat ni conséquence conduit d’un scandale à un autre, d’une dérive à une autre ?

Plutôt que de mesurer la portée des informations, de politiser un peu les problèmes soulevés, il s’agit de les évacuer au plus vite, en gageant que le prochain match les effacera des esprits. Un pari trop facile à gagner, malheureusement.