L’Argentine connaît son moment #metoo
L’Argentine connaît son moment #metoo
Par Christine Legrand (Buenos Aires, correspondante)
Le témoignage d’une comédienne, qui accuse un acteur célèbre de l’avoir violée, a provoqué une déferlante autour du #miracomonosponemos (« regarde dans quel état tu nous mets »).
Sous le choc, la société argentine connaît, à son tour, sa révolution #metoo. Dans un pays déjà très mobilisé contre les violences faites aux femmes après une série de viols et d’assassinats qui a déclenché la vague #niunamenos (« pas une de moins ») en 2015, une avalanche sans précédent de dénonciations d’agressions sexuelles a de nouveau fait exploser les réseaux sociaux ces derniers jours, occupant la « une » des médias et le devant de la scène politique.
Tout a commencé, mardi 11 décembre, quand une comédienne a accusé, dans une vidéo, un célèbre acteur de l’avoir violée, en 2009, alors qu’elle avait 16 ans et lui 45. En larmes, Thelma Fardin a raconté en détail comment Juan Darthés aurait abusé d’elle, dans une chambre d’hôtel, au Nicaragua, lors d’une tournée de promotion d’une série pour enfants, Patito Feo (« vilain petit canard »).
« Je lui répétais qu’il avait des enfants de mon âge, il s’en fichait », a relaté la jeune femme, précisant : « Il a pris ma main et m’a dit : “Regarde dans quel état tu me mets”, me faisant sentir son érection. »
« Avec moi, tu ne manqueras pas de travail »
Elle était entourée, au cours d’une conférence de presse, d’une cinquantaine d’actrices. « Avec moi, tu ne manqueras pas de travail », aurait dit le violeur présumé à sa victime. Avec ses allures de play-boy, Juan Darthés, 54 ans, avait déjà fait l’objet d’accusations de harcèlement et d’abus sexuel de la part de quatre autres actrices. Il nie les faits.
Les actrices Thelma Fardin (à gauche) et Griselda Siciliani (à droite), membres de du collectif Actrices Argentinas (« actrices argentines »), qui lutte contre les abus sexuels, lors d’une conférence de presse le 11 décembre 2018. / MARCELO CAPECE / AFP
Dans la même dynamique que celle du mouvement #metoo, lancé il y a plus d’un an, aux Etats-Unis, par des actrices pour dénoncer les violences sexuelles à Hollywood, le bouleversant témoignage a été repris sur Twitter avec le lancement du hashtag #miracomonosponemos (« regarde dans quel état tu nous mets »).
Le collectif Actrices Argentinas (« actrices argentines »), créé en 2018 pour soutenir le projet de légalisation de l’avortement et qui regroupe des figures du cinéma, du théâtre et de la télévision, a exigé la fin de l’impunité pour les auteurs d’agressions sexuelles. Aux Etats-Unis, après les accusations contre le producteur Harvey Weinstein, ce dernier a été arrêté et inculpé, mais reste en liberté sous caution.
A Buenos Aires, au lendemain de la confession de Thelma Fardin, le public du programme de variété de plus forte audience de la télévision argentine, « Showmatch », a écouté, éberlué, le récit en direct de l’actrice Maria del Cerro, qui a révélé, vingt-deux ans après, qu’elle avait été violée quand elle avait 11 ans.
Depuis, c’est une vague déferlante de dénonciations qui déborde largement le monde du spectacle et enflamme les réseaux sociaux. Les langues se délient avec des centaines de récits de femmes maltraitées, mais aussi d’hommes confessant avoir été agressés quand ils étaient enfants, le plus souvent par des membres de leur famille.
La ligne téléphonique 144 de la ville de Buenos Aires, destinée à conseiller les femmes victimes de violence de genre, sature. Les appels ont augmenté de plus de 80 % depuis le 11 décembre.
« Des femmes nous confient des histoires passées sous silence depuis parfois trente ou quarante ans », témoigne une opératrice.
Démissions au Congrès
Les politiques ne sont pas épargnés. Deux sénateurs, le radical Carlos Marino et Jorge Romero, du parti Frente para la Victoria, de l’ex-présidente péroniste Cristina Fernandez de Kirchner (2007-2015), ont été contraints de démissionner du Congrès, le 14 décembre, à la suite de dénonciations.
Le même jour, le président Mauricio Macri, a annoncé le lancement d’un plan national d’égalité des chances et des droits. « Il y a un changement d’époque, un changement de vision, ce qui autrefois paraissait normal ne l’est plus », a réagi le chef de l’Etat, qui a modifié l’agenda des sessions extraordinaires du Congrès, qui traitera en mars, après la trêve de l’été austral, un projet de loi maintes fois repoussé contre la violence machiste, afin que les plaintes pour délit sexuel ne soient plus prescrites.
Présidentielle d’octobre 2019
Dans le cas de Thelma, les faits étant prescrits en Argentine, l’actrice a déposé une plainte au Nicaragua, où ils se sont produits. De son côté, Juan Darthés a annoncé qu’il se présenterait devant la justice au Nicaragua. Le regard fuyant, larmoyant, il est apparu à la télévision qualifiant de « folie » la version de la jeune actrice. Il soutient que c’est elle qui a frappé à la porte de sa chambre et lui a fait des avances. « Je suis mort, ma carrière est foutue », a-t-il déclaré.
A un an des élections législatives et de la présidentielle d’octobre 2019, la thématique de genre s’annonce comme l’un des grands débats de la campagne. Les féministes argentines poursuivent leur lutte en faveur de la légalisation de l’avortement. Après d’extraordinaires mobilisations à Buenos Aires et dans le reste du pays, un projet de loi avait été approuvé, en juin, par la Chambre des députés. Mais, sous le poids de l’Eglise catholique, il a été rejeté, le 9 août, par le Sénat.