DDoSecrets, l’« anti-WikiLeaks » qui compile des documents confidentiels russes
DDoSecrets, l’« anti-WikiLeaks » qui compile des documents confidentiels russes
Par Morgane Tual
Le site veut « faciliter la libre diffusion de données d’intérêt public », y compris de documents que WikiLeaks avait refusé de diffuser.
La page d’accueil de DDoSecrets.
C’est un site au design rudimentaire, qui va droit à l’essentiel : la mise à disposition d’innombrables documents initialement privés ou secrets, piratés ici et là, publiés au fil des années à droite et à gauche, mais ici rassemblés et faciles d’accès. Mis en ligne en décembre 2018 par « un collectif pro-transparence », Distributed Denial of Secrets (surnommé DDoSecrets) a l’ambition « de faciliter la libre diffusion de données d’intérêt public », en « agissant comme simple relais des informations disponibles », peut-on lire sur la page d’accueil du site.
Vendredi 25 janvier, DDoSecrets (dont le nom fait référence à un type d’attaque informatique, Distributed Denial of Service Attack) s’est particulièrement fait remarquer en mettant en ligne une énorme masse de documents issus de Russie. Parmi eux, 108 GB de « messages et fichiers de politiciens, journalistes, oligarques, figures religieuses et nationalistes/terroristes », précise le collectif sur Twitter. Des centaines de milliers d’e-mails, de conversations sur Skype ou Facebook, et de documents accessibles en quelques clics.
Des documents explosifs ? Pas sûr. Leur volume rend leur analyse complexe, et rien n’est pour l’instant sorti de ces fichiers, déjà publiés par le passé. Car DDoSecrets ne prétend pas aujourd’hui faire fuiter de nouveaux documents. Son objectif est surtout de rassembler sur un même espace des documents « d’intérêt public » qui, même s’ils ont déjà été publiés en ligne, sont peut-être difficiles d’accès pour des non-experts, ou ont parfois disparu depuis.
Parmi les documents russes proposés par DDoSecrets figurent notamment des fichiers dérobés au ministère de l’intérieur russe, que WikiLeaks avait refusé de diffuser sur son site en 2016. L’organisation cofondée par Julian Assange avait alors expliqué au site Foreign Policy qu’elle rejetait les documents dont elle ne pouvait vérifier la véracité et qui avaient déjà été publiés ailleurs. Un refus qui avait renforcé les critiques à l’encontre de WikiLeaks, qui avait à la même époque publié des documents dérobés au Parti démocrate états-unien. WikiLeaks avait alors été accusé de soutenir Donald Trump et d’être au service du Kremlin.
DDoSecrets se veut-il une sorte d’anti (ou d’alternative à) WikiLeaks ? Les références à l’organisation de Julian Assange sont en tout cas omniprésentes sur le site. Dès la page d’accueil, DDoSecrets justifie son existence en s’en prenant à « l’état actuel des organisations spécialisées dans les “fuites” » (« leaks », en anglais), qui se seraient « détériorées rapidement au fil des années, empoisonnées par leurs ego et intérêts ». Même si le nom n’est pas cité, la référence à WikiLeaks est évidente.
Et la cofondatrice de DDoSecrets, la journaliste Emma Best, ne cache pas son aversion : dans les colonnes du New York Times, elle dit avoir été « déçue » par « le comportement malhonnête et égocentrique » de Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks. Cette trentenaire, installée à Boston – et l’une des seules de ce collectif d’une vingtaine de personnes à s’exprimer sans cacher son idendité –, s’était faite remarquer cet été en publiant des conversations privées du compte Twitter de WikiLeaks, comprenant plus de 11 000 messages.
Dans la colonne de gauche, une rubrique exclusivement consacrée à WikiLeaks donne accès à des documents venant de l’organisation.
Ce dossier apparaît d’ailleurs sur DDoSecret, dans une rubrique exclusivement consacrée aux fuites provenant de WikiLeaks – au côté d’autres rubriques comme « Afrique », « Europe », « Amérique du Nord », « Assurances », « Entreprises », etc. On y trouve des documents, là encore déjà publiés par ailleurs, provenant de l’organisation, comme ces messages privés Twitter, des documents juridiques ou des conversations par tchat. Parmi ces fuites, des documents que Mme Best estime favorables à M. Assange, a-t-elle tenu à souligner dans les colonnes du New York Times.
Des données personnelles sensibles
« En tant que collectif, nous ne soutenons aucune cause, idée, ou message, si ce n’est de s’assurer que les informations sont accessibles à ceux qui en ont le plus besoin – les gens », peut-on lire sur le site de DDoSecrets.
Les fichiers disponibles sur ce site concernent des entités variées : on y trouve aussi bien les conversations privées de WikiLeaks que des documents dérobés au ministère du commerce chinois, les « MacronLeaks » ou encore des documents révélés par le lanceur d’alerte Edward Snowden sur la NSA. Mais aussi des décennies d’archives de Time Magazine (normalement payantes) ou bien des données piratées sur d’énormes sites, comme LinkedIn.
C’est d’ailleurs ce dernier point qui a valu à DDoSecrets une première polémique avant même son lancement. Le site avait envisagé de rendre accessibles les données issues de l’énorme piratage du site de rencontres extraconjugales Ashley Madison en 2015. Face aux protestations – ces données très sensibles avaient donné lieu à des suicides, des chantages et des démissions –, DDoSecrets a renoncé, mais propose toutefois de les transmettre « sur demande ». C’est le cas d’un certain nombre de documents issus des piratages de grandes plates-formes, comme Dropbox, MySpace, TumblR ou encore Patreon. Les personnes souhaitant accéder à ces données doivent expliquer leurs intentions à DDoSecrets et apporter de quoi les prouver.