« Dumbo » : saltimbanques contre show-business
« Dumbo » : saltimbanques contre show-business
Par Thomas Sotinel
En racontant les conséquences du succès du petit éléphant, Tim Burton fait un pied de nez à l’histoire de la firme Disney.
En juillet 2017, lorsque Disney a mis en ligne les premières images de la version numérique de Dumbo, l’éléphanteau volant a provoqué une éruption de sarcasmes. Sur les réseaux sociaux, on s’est moqué de son regard de zombie, de ses oreilles, qui ressemblaient à des ailes de chauve-souris. On l’a accusé de faire peur aux petits enfants, de trahir son modèle sur Celluloïd, le Dumbo du film d’animation de 1941. Cette tempête dans un seau d’eau (il faut au moins un seau pour désaltérer un éléphant) tenait essentiellement à la présence dans les coulisses de Tim Burton, à qui Disney avait confié la réalisation de cette nouvelle version d’un des titres les plus rentables du répertoire de la compagnie.
Si Tim Burton s’est amusé à subvertir l’histoire de cet enfant arraché à sa mère célibataire, ce n’est pas en la tirant vers l’horreur. Bien sûr, le réalisateur de Beetlejuice et des Noces funèbres ne peut tout à fait renoncer à son numéro de funambule entre burlesque et terreur : vers la fin du Dumbo du XXIe siècle, on entreverra les silhouettes terrifiantes des créatures qui hantent une attraction de Dreamland, le parc d’attractions dans lequel a échoué le petit pachyderme. Plus tôt, l’acteur allemand Lars Eidinger aura fait une apparition saisissante dans le rôle du méchant directeur de cirque qui enlève sa maman à Dumbo.
Mais l’essentiel du film est ailleurs, dans la peinture (et le mot va bien, car, même s’il s’agit de cinéma, Burton s’est inspiré de l’art américain du début du XXe siècle, avec une prédilection pour la mélancolie d’Edward Hopper) d’une petite communauté d’artistes qui lutte pour échapper à l’emprise de l’argent.
Une insouciance enfantine
On est au lendemain de la première guerre mondiale, Holt Farrier (Colin Farrell), cow-boy de cirque, revient d’Europe, un bras en moins. Pendant qu’il était au front, sa femme est morte de la grippe espagnole, lui laissant deux enfants, Milly (Nico Parker), une presque adolescente qui préfère la science au spectacle, et Joe (Finley Harris), un petit garçon qui rêve de se produire sous le chapiteau sans manifester aucun talent. La troupe est dirigée par Max Medici, un histrion vieillissant (Danny DeVito, bravache et mélancolique), et va de ville en ville, avec la faillite pour seul horizon.
Jusqu’à ce que naisse Dumbo. A ce moment, le scénario d’Ehren Kruger se fait plus « disneyen ». Certes, les animaux ne parlent pas, mais les péripéties qui font une star du petit animal difforme s’enchaînent avec une insouciance enfantine. Le long-métrage d’animation s’arrêtait là, à la conquête du succès. Le Dumbo de Tim Burton passe ce cap pour mettre en scène les conséquences de la célébrité, les compromis et l’asservissement.
Michael Keaton, surmonté d’un toupet argenté, incarne l’arrogance du show-business avec une admirable onctuosité reptilienne. C’est son personnage, l’abominable Vandevere, qui veut confiner Dumbo dans un parc d’attractions, décor sublime aussi attirant qu’effrayant.
Avant la projection, on se demandait pourquoi Tim Burton avait eu besoin de presque deux heures pour refaire un film qui, il y a bientôt quatre-vingts ans, n’en durait qu’une. C’est qu’il raconte aussi ce qui s’est passé après la sortie de Dumbo : la transformation des saltimbanques en industriels, la mise au pas des artistes – on voit Vandevere licencier les employés du cirque Medici, qu’il a racheté.
Au moment de la création de Dumbo, en 1941, les animateurs de Disney se mirent en grève, et l’oncle Walt licencia les meneurs, accusés de sympathies communistes. Tim Burton fait un pied de nez à ses commanditaires. Ceux-ci sont sans doute assez sûrs d’eux pour ne pas regretter d’avoir financé ce nouveau geste de révolte de l’éternel adolescent.
Dumbo (2019) - Nouvelle bande-annonce (VF)
Durée : 01:58
Film américain de Tim Burton. Avec Colin Farrell, Danny DeVito, Eva Green (1 h 52). Sur le Web : disney.fr/films/dumbo-2019 et fr-fr.facebook.com/DisneyDumbo