A Cannes, les ouvriers de La Souterraine : « Rassurez-vous, on n’est pas là pour tout péter »
A Cannes, les ouvriers de La Souterraine : « Rassurez-vous, on n’est pas là pour tout péter »
Par Laurent Carpentier
Une quarantaine de salariés, ou ex-salariés, de GM&S, fabriquant de pièces détachées pour l’industrie automobile, ont fait le voyage depuis la Creuse, pour présenter, à la Quinzaine des réalisateurs, le documentaire « On va tout péter », dont ils sont les héros.
« Eh ! Marie-Charlotte, c’est toi qui y vas la première ? », gueule un camarade à la quadra enthousiaste, dont la veste de l’usine passée sur un T-shirt bleu « Yes We Cannes », commence être trempée, alors que, dans l’eau jusqu’à mi-cuisse, l’ouvrière éclabousse la terre entière aux cris de : « On ne lâche rien ! » Joie de gamins. La mer qui nettoie tout, les chagrins et les conflits perdus, même celui-ci qui, pourtant, après trois ans, dure encore.
Ils sont une quarantaine de salariés, ou ex-salariés, de GM&S, fabriquant de pièces détachées pour l’industrie automobile, à avoir fait le voyage depuis La Souterraine, dans la Creuse, pour présenter, à la Quinzaine des réalisateurs, le documentaire dont ils sont les héros : On va tout péter. « Mais non, rassurez-vous, on n’est pas là pour ça », rassure un ouvrier à un pandore inquiet.
Lech Kowalski, 66 ans, documentariste d’origine polonaise né à Londres, formé à New York (films cultes sur les Sex Pistols ou Johnny Thunders des New York Dolls), a posé sa caméra au plus près de leur vie, s’installant lui-même, pendant un an et demi avec sa compagne et collaboratrice, à La Souterraine. Le film, immersif, joyeux et intime, qui se refuse à « être un film de propagande », se termine sur une reprise minimum de la production avec des effectifs coupés de moitié. Dont on comprend que cela ne saurait être une fin. Il se passe quoi, après ? Il se passe Cannes.
Délégué CGT, licencié pour autant, Vincent Labrousse a retrouvé du boulot, à Limoges, une imprimerie. Mais il est venu « pour la soixantaine de camarades qui sont restés sur le carreau sans travail… » « Etre ici, c’est le summum », sourit-il face à l’azur. La fin de droits, ce sera le cas en septembre pour Franck Cariat, 43 ans : « 120 lettres de motivation. Jusqu’en Charentes-Maritime et en Dordogne. Et rien. » Rien sauf cette famille de combat forgée dans la grève, « génératrice de solidarités nouvelles et d’énergies créatives », comme l’observe, admiratif, le réalisateur. Le même processus qui cimentera la révolte des « gilets jaunes ».
S’essuyant le front sous le soleil, Gilbert Aucharles, personnage central du film, non licencié mais toujours en lutte, grand pêcheur de truites devant l’éternel, scrute la mer : « J’aurais dû prendre mes cannes, ça aurait donné. »