Mondial féminin : la fédération canadienne embarrassée par des accusations de harcèlement sexuel
Mondial féminin : la fédération canadienne embarrassée par des accusations de harcèlement sexuel
Par Lætitia Béraud
L’entrée des footballeuses du Canada est éclipsée outre-Atlantique par une affaire qui voit depuis plusieurs mois treize anciennes joueuses dénoncer les agissements sexistes d’un ex-sélectionneur de l’équipe U20.
Les supporteurs des Whitecaps quittent le stade pour protester contre le manque de réaction de la fédération canadienne, à Vancouver, le 10 mai. / DARRYL DYCK / AP
Elles ont attendu une dizaine d’années pour briser le silence. Depuis février, plusieurs ex-footballeuses des Whitecaps de Vancouver et de l’équipe canadienne des moins de 20 ans (U20) prennent la parole et accusent leur ancien entraîneur de harcèlement sexuel.
L’histoire remonte au milieu des années 2000. A l’époque, jouer pour Vancouver, qui évoluait dans la ligue professionnelle féminine, était un tremplin vers la sélection nationale U20 car les deux équipes avaient le même coach. Mais à quel prix ? Les anciennes joueuses dépeignent aujourd’hui un tableau inquiétant de l’ambiance qui régnait dans ces deux équipes.
Elles reprochent notamment à leur entraîneur de l’époque d’avoir profité de sa position de force pour envoyer des textos à caractère sexuel et d’avoir fait des avances sexuelles à des joueuses.
Des accusations sur un blog
« Le coach était un harceleur. Tout le monde avait peur. Je savais que ce n’était pas une atmosphère normale dans une équipe », raconte une ex-joueuse des Whitecaps, Ciara McCormack, aujourd’hui âgée de 39 ans.
C’est elle qui a lancé l’alerte le 25 février sur son blog. Depuis, l’entraîneur en question a été identifié par les médias canadiens comme étant Bob Birarda et il a été suspendu par son club actuel. Le Coastal FC, où il entraînait des jeunes filles depuis plusieurs années dans la banlieue de Vancouver, affirme ne jamais avoir été au courant de tels agissements.
Depuis, d’autres joueuses ont apporté de nouveaux témoignages, soutenues notamment par l’ancienne capitaine de la sélection canadienne aux 132 capes, Andrea Neil, qui jouait à Vancouver à l’époque.
En 2008, à quelques semaines de la Coupe du monde U20, le coach avait quitté le club et la sélection. De son propre chef, selon les communiqués officiels. Les joueuses racontent aujourd’hui une tout autre histoire décrivant une enquête interne qui avait poussé l’entraîneur vers la sortie.
« Dans l’équipe nationale U20, c’était vraiment un environnement sexuel nocif, tout le monde le savait », poursuit Ciara McCormack, qui a côtoyé le technicien entre 2006 et 2007 en club avant de quitter Vancouver. Ce sont ses proches amies dans l’équipe nationale qui lui ont raconté les pratiques de l’entraîneur par la suite.
Le soutien des supporteurs
Depuis février, les footballeuses ont reçu le soutien des supporteurs des Whitecaps de Vancouver. Mécontents du manque de réaction des dirigeants du club, ceux-ci ont manifesté pendant plusieurs matchs de l’équipe masculine en Major League Soccer, la ligue nord-américaine, en quittant systématiquement le stade peu avant la fin de la première mi-temps.
« C’est ce qui a permis à cette histoire de rester dans les médias », analyse Karin Larsen, journaliste à la télévision publique canadienne CBC, qui a couvert le scandale pendant plusieurs mois. « Les supporteurs ont mis beaucoup de pression sur l’équipe, ça a mieux marché que la pression médiatique », poursuit-elle.
Devant le refus des associations de supporteurs d’arrêter leur « grève », les dirigeants du club ont fini par rencontrer plusieurs joueuses accusatrices le 25 mai, trois mois après le début de l’affaire. L’équipe a présenté des excuses et a désigné une personne tierce pour enquêter.
« On dirait qu’ils sont sérieux dans leur démarche, ils veulent vraiment que les choses changent », confirme Ciara McCormack qui espère maintenant un signe de l’association Canada Soccer, l’instance dirigeante du football dans le pays, responsable notamment des équipes nationales.
Le silence de la fédération en question
« La fédération canadienne n’a rien fait. Elle a dit très peu de choses sur le sujet, et a seulement fait des communiqués vides, alors que c’est l’organisation théoriquement responsable du comportement de cet homme à l’époque », rappelle Karin Larsen.
A l’approche de la Coupe du monde, la fédération préfère communiquer sur la sélection canadienne et n’a pas répondu à nos sollicitations. De son côté, la police de Vancouver a déclaré être au courant des accusations envers Bob Birarda mais n’a pas confirmé si une enquête était en cours. Le technicien ne s’est pas exprimé publiquement depuis le début de l’affaire.
Parmi les joueuses de la génération qui sont passées par Vancouver ou l’équipe U20 ces années-là, beaucoup ont arrêté le football après cette expérience ou sont parties jouer à l’étranger, comme Ciara McCormack, qui a défendu les couleurs de l’Irlande.
Cette année, sur les terrains de la Coupe du monde en France, seules deux Canadiennes qui ont évolué sous la direction de Bob Birarda seront présentes. Ni la défenseure Shannon Woeller, ni la milieu de terrain Sophie Schmidt ne se sont exprimées sur le sujet. Reste à savoir si les supporteurs qui ont fait le déplacement quitteront les matchs avant la fin pour faire réagir leur fédération, une stratégie qui a payé à Vancouver.