Boris la menace
Boris la menace
Editorial. Boris Johnson doit prendre ses fonctions de premier ministre mercredi 24 juillet. Face à ce personnage versatile, et dans le cadre des négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE, les Européens devront faire preuve de sang-froid.
Boris Johnson, devant le siège du Parti conservateur, à Londres, le 23 juillet. / NIKLAS HALLE'N / AFP
Editorial du « Monde ». Et maintenant ? Le 10, Downing Street, il y pense depuis l’âge de 8 ans, si l’on en croit sa sœur Rachel. Mercredi 24 juillet, Boris Johnson réalise enfin, à 55 ans, son rêve de devenir premier ministre, vingt-quatre heures après avoir été déclaré vainqueur sur son rival Jeremy Hunt à la tête d’un Parti conservateur dévasté par l’interminable saga du Brexit. A lui, désormais, de gouverner un royaume qui n’a plus d’uni que le nom. Dire que les défis qui attendent le remuant successeur de Theresa May sont immenses relève de l’euphémisme.
Boris Johnson s’est fixé trois principaux objectifs durant sa campagne parmi les militants du parti tory, de nouveau énoncés mardi, à l’annonce de sa victoire : « Réaliser le Brexit, unir le pays, battre Jeremy Corbyn », le chef du Labour. De ces trois tâches, seule la dernière paraît à peu près aisée, tant le Parti travailliste, égaré dans un épais brouillard idéologique, n’est plus que l’ombre de lui-même.
Dès son élection, mardi, M. Johnson a réitéré sa détermination de faire sortir la Grande-Bretagne de l’Union européenne d’ici au 31 octobre, la date butoir fixée par Bruxelles. Comment entend-il y arriver ? Nul ne le sait, et peut-être pas lui-même, qui répète à l’envi que le Brexit se fera « do or die » – « coûte que coûte » –, ce qui inclut l’hypothèse d’une sortie brutale, sans accord sur les modalités.
Posture maximaliste
Ce Brexit sans accord, aux conséquences économiques potentiellement désastreuses, est redouté de part et d’autre de la Manche. Volontiers matamore, l’ancien maire de Londres affiche ainsi une posture maximaliste bien connue des professionnels de la négociation, à laquelle le négociateur en chef de l’UE, Michel Barnier, a répondu de la manière la plus nette mardi : il se réjouit de travailler avec le nouveau chef du gouvernement britannique, a-t-il tweeté, « en vue de la ratification de l’accord de sortie » et « d’un Brexit ordonné ». Le message est clair : l’UE n’entend pas renégocier l’accord conclu avec Londres sous les auspices de Mme May, mais elle est prête à revoir des dispositions de la déclaration politique qui l’accompagne.
La versatilité étant l’un des traits de caractère les plus reconnus de Boris Johnson, il est tout à fait possible qu’il propose rapidement à Bruxelles d’autres options, y compris celle d’un report de la date du 31 octobre. Les Vingt-Sept sont ouverts à cette hypothèse, si elle est assortie de propositions raisonnables, et Boris Johnson a beau être provocateur, on peut présumer qu’il n’en a pas moins les intérêts de son pays à cœur. Mais les obstacles qui paraissaient irréductibles à la fin du règne de Theresa May, notamment celui de la frontière nord-irlandaise, ne se sont pas évanouis avec l’arrivée de M. Johnson au pouvoir.
Le deuxième défi, « unir le pays », dépend en grande partie de la solution apportée au premier. Le référendum du 23 juin 2016 sur le Brexit, dans lequel Boris Johnson a joué un rôle crucial, a profondément divisé les Britanniques et révélé de nouvelles lignes de fracture entre l’Angleterre et les autres entités du royaume. Il a bouleversé le paysage politique à Londres, où le bipartisme séculaire s’effondre devant l’émergence de nouveaux partis, et remis en cause la représentativité du Parlement. Le pays a grand besoin de panser ses plaies, mais l’image de son nouveau premier ministre n’est pas exactement celle d’un père de la nation.
Désigné au poste le plus puissant du pays par le vote de quelque 150 000 membres d’un parti qui vient de subir un cuisant désaveu aux élections européennes, M. Johnson pourrait n’avoir d’autre solution que de recourir à des élections législatives anticipées pour relégitimer son pouvoir et celui du Parlement. Cela lui permettrait de résoudre son troisième défi. Le prix à payer pour sauver les chances de son parti en ruine, cependant, risque d’être celui d’un pacte avec l’extrême droite de Nigel Farage.
Le pire n’est jamais sûr, même avec Boris Johnson. Mais il va falloir aux Européens une sacrée dose de sang-froid et de sagesse pour l’éviter.