Comment le tueur de la Drôme a été laissé livré à lui-même
Comment le tueur de la Drôme a été laissé livré à lui-même
Par Richard Schittly (Lyon, correspondant)
Le suspect, placé en hôpital psychiatrique lundi, avait été pris en charge par des gendarmes, des pompiers et un hôpital juste avant le drame.
Le tueur de la Drôme a fait une quatrième victime : une sexagénaire, frappée à la tête à coups de pierre lundi 26 décembre, a succombé jeudi à ses blessures. « Il s’agit désormais d’un quadruple meurtre », auquel s’ajoute une tentative d’homicide volontaire, a déclaré le procureur de la République de Valence, Alex Perrin, qui devait ouvrir vendredi une information judiciaire et désigner deux experts psychiatres censés se prononcer sur la responsabilité pénale du suspect.
L’homme de 23 ans a été placé dès lundi soir en hôpital psychiatrique sous surveillance renforcée des gendarmes, son état étant jugé incompatible avec une garde à vue. Mais la chronologie des événements laisse un goût amer, tant le passé de délinquance et les troubles psychiatriques du suspect, Fissenou S., ont échappé aux forces de l’ordre et aux services de soin, qui l’avaient pourtant pris en charge quelques heures seulement auparavant.
Dimanche 25 décembre, l’aîné d’une famille d’origine malienne installée à Beauvais (Oise) annonce à ses proches qu’il part à Paris. Sorti de prison en septembre après une incarcération pour trafic de stupéfiants, le jeune homme était devenu « vraiment bizarre », selon le témoignage de sa sœur au Parisien, mardi 27 décembre. « Il nous disait qu’il y avait des esprits dans la maison », assure-t-elle. « Il entendait des voix », ajoute son père.
La routine
Dans son parcours erratique, Fissenou S. se retrouve dimanche en fin de journée dans un TGV de la ligne Marseille-Paris. Sans billet, débarqué une première fois à Avignon (Vaucluse), il reprend un train et provoque une altercation avec des passagers. Le TGV stoppe à cause de lui en gare de Valence (Drôme), vers 22 heures.
Il est réceptionné par des agents de la sûreté ferroviaire, avec des gendarmes du peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie et de la brigade territoriale de Bourg-de-Péage. « Quand on refait le film, il faut bien se dire qu’à ce moment-là, on n’est pas face à un homme qui a tué trois personnes, on a un incident dans un train comme il s’en passe tous les jours », explique un officier du groupement de gendarmerie de la Drôme.
Pour les gendarmes, la scène est banale sur cet axe ferroviaire très fréquenté. Le délit n’est pas suffisamment caractérisé pour envisager une mesure de contrainte. Personne ne rapporte des faits graves de violences, aucune plainte n’est déposée et le train repart au bout de vingt minutes. « Il est calme au moment de sa prise en charge, il n’y a pas de motif de garde à vue », confirme le procureur de Valence.
Les gendarmes ignorent le passé pénal du jeune homme, condamné plusieurs fois pour violences et trafic de stupéfiants. Savent-ils au moins qu’il a déjà été expulsé d’un train quelques heures auparavant ? « Si aucun délit n’est établi, la question à laquelle nous devons répondre est : est-il dangereux pour lui-même ou pour autrui ? Il nous a dit qu’il avait des problèmes de santé et besoin d’un traitement », raconte l’officier de gendarmerie.
Pas de délit, ni de trouble majeur à l’ordre public, la mécanique judiciaire s’arrête là. Place à la chaîne médicale. Les gendarmes composent le 15. Le centre d’appel du SAMU sollicite les sapeurs-pompiers pour un transport en ambulance, à destination du centre hospitalier de Valence.
La routine, là encore. Les pompiers signalent l’arrivée du patient à l’accueil et repartent. Ni les gendarmes ni les pompiers ne restent avec le jeune homme le temps qu’un diagnostic soit établi. Le service des urgences de Valence fonctionne toute l’année, jour et nuit. La recrudescence des agressions a conduit à instaurer, en 2016, une présence permanente d’agents de sécurité privée.
« Tri des patients »
Fissenou S. reste environ deux heures à l’hôpital. Voit-il seulement un médecin ? « Aux urgences, chacun est libre de repartir », se contente d’indiquer la direction de l’hôpital. Le service des urgences de Valence dispose aussi d’une antenne psychiatrique, assurée par le centre hospitalier Le Valmont, établissement de soins psychiatriques situé à une dizaine de kilomètres. L’antenne fonctionne 24 heures sur 24, « en présence d’une infirmière et d’un psychiatre ». Le jeune homme en proie à des troubles mentaux est-il examiné par cette antenne spécialisée ? Les deux établissements se refusent à toute précision.
« La situation des urgences psychiatriques de Valence est très fréquente en France, on fait le tri des patients pour éviter l’hospitalisation. La politique gouvernementale appauvrit les soins psychiatriques depuis trente ans, on est passé de 110 000 lits spécialisés dans les années 1980 à 28 000 aujourd’hui », estime Philippe Navarro, secrétaire régional du syndicat FO Santé. Il ajoute : « Les prisons regorgent de jeunes aux graves problèmes psychiatriques, la drogue a fait exploser la dégradation de la santé mentale. »
Fissenou S. a fui les urgences en volant un vélo, vers 1 heure du matin. Il est soupçonné, dans les heures suivantes, d’avoir tué trois personnes âgées à leur domicile, dans des communes proches, et d’en avoir agressé trois autres dans le Vaucluse. Avant d’être interpellé dans le calme, lundi, à la gare TGV d’Avignon.