Est-ce que les « déclassés de la SNCF », ou « indigènes du rail » comme ils se sont parfois autodésignés, vont obtenir gain de cause ? La cour d’appel de Paris examinera lundi 15 et mardi 16 mai le dossier de 800 « chibanis » (cheveux blancs en arabe), cheminots de nationalité ou d’origine marocaine qui poursuivent la SNCF pour discrimination durant leur carrière. Cette affaire est rejugée, le groupe ferroviaire ayant contesté in extremis sa condamnation.

Après moult renvois et, pour certains, jusqu’à 15 ans de procédure, le conseil des prud’hommes de Paris avait donné gain de cause aux « chibanis » le 21 septembre 2015, et requis 170 millions d’euros de dommages et intérêts à la SNCF.

Plusieurs centaines d’entre eux pourraient assister aux audiences, prévues sur deux jours dans la grande salle où se tient habituellement le procès-fleuve de l’explosion d’AZF.

Les dommages et intérêts réévalués à la hausse

Embauchés dans les années 70, la grande majorité des plaignants étaient contractuels, donc avec un CDI de droit privé, et n’ont pas pu bénéficier du statut particulier des cheminots, plus avantageux et relevant d’une caisse de retraite spécifique. Une centaine d’entre-eux, naturalisés, a pu y accéder mais en perdant leur ancienneté.

Ils accusent alors la SNCF, qui conteste toute discrimination, de les avoir délibérément « cantonnés » aux plus bas niveaux de qualification et de salaires, ce qui les a ensuite pénalisés à l’heure de la retraite.

« J’aimais travailler à la SNCF, ce métier m’est resté dans le cœur » mais « il y avait un grand écart avec mes collègues, je veux qu’il soit réparé », explique à l’AFP Abdelghani Azhari, 67 ans, qui a souvent travaillé la nuit au cours de sa carrière. Selon leur avocate, Me Clélie de Lesquen-Jonas, 100 % des plaignants sont restés agents d’exécution, contre 25 % des personnels au statut et avec une ancienneté comparable.

Les dommages et intérêts prononcés en 2015 s’élevaient à environ 200 000 euros en moyenne par personne. Si la cour d’appel, qui rendra son jugement en janvier 2018, confirmait la discrimination, la facture pourrait s’alourdir pour le groupe public. L’avocate des cheminots, quasi-tous retraités aujourd’hui, a en effet réévalué à la hausse ses demandes, en les recalculant pour chacun sur la base du principe de « réparation du préjudice intégral ». Elle espère également obtenir une reconnaissance de « préjudice moral » pour tous ces agents qui « ont ressenti une vraie humiliation ».

1 200 dossiers aux prud’hommes

En face, le groupe ferroviaire plaidera qu’il a « toujours traité de la même manière ses salariés, quelle que soit leur origine ou nationalité ». La SNCF explique avoir « respecté les règles statutaires », qui réservent l’embauche au statut SNCF aux ressortissants de l’Union européenne. Une condition dont SUD-rail et la CGT-cheminots demandent la suppression, comme la RATP (l’opérateur des transports en commun parisiens) l’a fait en 2002. Mais l’existence de deux régimes distincts « n’est pas discriminatoire », insiste un porte-parole.

En première instance, 26 dossiers avaient été recalés, pour des raisons de prescription ou parce qu’il s’agissait d’agents détachés par les chemins de fer marocains. Depuis un an et demi, entre 300 et 400 nouveaux recours ont été déposés, portant à près de 1 200 le nombre de dossiers aux prud’hommes, selon Ahmed Katim, porte-parole de l’association rassemblant les plaignants.

« La SNCF cherche à gagner du temps, le temps que les gens disparaissent, comme l’a fait le gouvernement français avec les anciens combattants marocains, mais je suis confiant dans la justice », assure M. Katim. Il se dit prêt à « continuer le combat jusqu’au bout », « en cassation » si nécessaire.

La SNCF a recruté au total environ 2 000 Marocains dans les années 1970, en vertu d’une convention signée entre la France et le Maroc devant garantir « l’égalité des droits et de traitement avec les nationaux », rappelle-t-il.