Au Burkina, la culture de la mangue menacée par un insecte ravageur
Au Burkina, la culture de la mangue menacée par un insecte ravageur
Par Sandrine Berthaud-Clair (avec Sophie Douce, à Ouagadougou)
La cochenille farineuse a fait son apparition dans les régions du sud-ouest, laissant craindre une contamination des grands vergers du pays, troisième exportateur africain.
La filière burkinabée de la mangue a enregistré un chiffre d’affaires de 15 milliards de francs CFA (22,9 millions d’euros) en 2018. / Tony Gentile / Reuters
Alerte sur la mangue burkinabée. Alors que les différents acteurs de la filière s’apprêtent à lancer, mardi 5 mars, la campagne de récolte et de transformation qui durera jusqu’à fin août, la plus importante coopérative du Burkina Faso, l’Apromab, et des scientifiques adressent une mise en garde aux pouvoirs publics. La cochenille farineuse s’est installée sur certains manguiers du pays. Pour l’instant cantonné à la périphérie des villes, aux cours des maisons particulières et à certains vergers des régions des Cascades et des Hauts-Bassins, dans le sud-ouest, l’insecte ravageur pourrait rapidement contaminer les grands vergers de production à la faveur du vent et des pollinisateurs.
Premier transformateur en fruits séchés et troisième pays exportateur de mangues fraîches du continent africain, après la Côte d’Ivoire et le Mali, le pays se prépare en 2019 à une bonne récolte de 250 000 tonnes, selon l’Union nationale des producteurs de mangues du Burkina (UNPMB), supérieure de 50 000 tonnes à celle de 2018. A condition que Rastrococcus invadens ne gagne pas du terrain.
Le ravageur au nom latin peu engageant suce en effet la sève du manguier, l’affaiblissant, puis sécrète un miellat dont raffolent les fourmis et la fumagine, un minuscule champignon noir qui se développe sur les feuilles et les bourgeons. « La fumagine empêche la photosynthèse et asphyxie la plante, tandis que le parasite gâte les fruits épargnés en les recouvrant d’une poudre blanche qui les rend impropres à la consommation et à la transformation », explique Rémy Dabiré, entomologiste au Centre national de recherche scientifique et technologique (CNRST), à Bobo-Dioulasso.
Lutte chimique ou biologique ?
Selon Paul Ouédraogo, le président de l’Apromab, il y a urgence : « Attendre n’est pas une bonne solution, car si le vent, qui balaie généreusement le Burkina, se met de la partie, la propagation sera fulgurante. Sans compter le travail des abeilles. La question n’est pas de savoir si la catastrophe va avoir lieu, mais quand. » Les vergers, qui s’étendent sur plus de 19 700 hectares dans le sud et le sud-ouest du Burkina, avaient déjà été touchés en 2017 par le parasite, ce qui avait abouti à une baisse de 15 % de la production.
La filière est confrontée depuis quelques années à des difficultés, dont le développement de certains parasites et le dessèchement de l’arbre fruitier imputé au réchauffement climatique. Si la menace de la mouche du fruit a été circonscrite grâce aux efforts des chercheurs de la sous-région, soutenus par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’Union européenne, celle de la cochenille farineuse est beaucoup plus difficile à contenir quand elle se déclare sérieusement.
La lutte chimique à grande échelle, qui n’est pas forcément la plus efficace et reste très coûteuse pour les producteurs, avait largement échoué en Côte d’Ivoire en 2002 – le voisin burkinabé avait alors vu jusqu’à 80 % de sa récolte perdue dans certaines régions. En raison du risque d’exposition des paysans aux produits, elle pose en outre « des problèmes de santé publique », explique Rémy Ouédraogo, dont les bureaux sont à quelques encablures du terminal ferroviaire fruitier du pays. Selon lui, il faut privilégier la lutte biologique, ce qui nécessite des moyens de recherche. « Il est urgent que les autorités réagissent, plaide le scientifique. Depuis des semaines, des dizaines de petits producteurs en panique se succèdent dans mon bureau. »
Elaborer une réponse de prévention
Paul Ouédraogo, de l’Apromab, va plus loin : il souhaite la mise en place d’une structure plus légère que les circuits institutionnels actuels, trop lents selon lui à élaborer une réponse de prévention : « Il faut constituer des équipes capables d’intervenir en quelques jours dans les vergers en cas d’attaque, former les producteurs à la prévention et appuyer l’encadrement de la filière. On a les personnes ressources nécessaires. »
Pascal Soubeiga, directeur général des productions agricoles au ministère de l’agriculture, se défend d’ignorer ces alertes : « Bien sûr que le risque que représentent les cochenilles farineuses nous préoccupe ! La mangue est le premier produit fruitier d’exportation du Burkina et tout ce qui peut mettre en danger nos productions nous inquiète forcément. Mais nous sommes un pays où il y a encore peu de moyens pour mener des études, nous avons un budget limité. Il faut prendre cela en compte. »
Relancée en 2006 grâce à la professionnalisation des producteurs et au Programme d’appui aux filières agro-sylvo-pastorales (Pafasp) de la Banque mondiale, la filière n’a cessé de se développer depuis. Fort d’un chiffre d’affaires de 15 milliards de francs CFA (22,9 millions d’euros) en 2018, le secteur fait aujourd’hui vivre plus de 15 000 producteurs et transformateurs, dont 14 exportateurs internationaux, 76 unités de séchage réparties dans huit provinces et une usine de transformation qui emploie plus de 2 000 personnes. Le rendez-vous traditionnel d’ouverture de la campagne, qui est l’occasion pour les acteurs de la profession de dialoguer avec les autorités, promet d’être animé.