Ce que les 352 jeux vidéo présentés au salon E3 disent de l’état de l’industrie
Ce que les 352 jeux vidéo présentés au salon E3 disent de l’état de l’industrie
Par William Audureau
Pour les connaisseurs, c’était un « E3 de transition ». Un salon au spectacle moindre, en attendant une année 2020 et la nouvelle génération de consoles.
C’était un « E3 de transition », comme aiment à le rappeler les connaisseurs. Sous-entendu, un salon du jeu vidéo au spectacle moindre, en attendant une année 2020 promise à la sortie d’une nouvelle génération de consoles. Pour autant, l’Electronic Entertainment Exposition (E3), qui s’est tenu du 11 au 14 juin à Los Angeles (Californie), est loin d’avoir été insignifiant.
Au-delà de la présence inédite d’acteurs comme Google, Netflix et Tesla, qui ont marqué le salon, les jeux ont été au rendez-vous. D’un point de vue qualitatif, d’abord, avec le toujours très impressionnant jeu de rôle futuriste des créateurs de The Witcher 3 : Cyberpunk 2077 ; le remake clinquant et forcément attendu de Final Fantasy VII ; ou encore les astucieux Twelve Minutes ou Spiritfarer. Et d’un point de vue quantitatif, surtout, avec 352 titres cités au salon ou dans les événements et prises de parole annexes, selon notre décompte.
Le jeu de l’E3 2019 moyen est sorti en 2016
Le nombre est élevé. A titre de comparaison, en 2008, l’E3 ne dépassait pas les 200 projets présentés, selon un calcul de l’époque réalisé par Jeux vidéo magazine. La raison tient à l’annonce de deux nouveaux services, Stadia et sa trentaine de titres prévus au lancement, et le nouvel abonnement Xbox Game Pass pour PC et son catalogue de 115 jeux, pour la plupart sortis ces cinq dernières années. Cas exceptionnel d’une édition de l’E3 où le mois de sortie moyen des jeux présentés est août… 2016.
A ces deux effets d’annonce, il faut ajouter un phénomène plus structurel, celui de la mode des désormais fameux « game as a service », des titres pensés pour une exploitation commerciale longue durée, à grand renfort d’événements e-sportifs, de contenu additionnel et d’extensions en tout genre. A l’image de Fornite, Fallout 76, Apex Legends ou encore Tom Clancy’s Rainbow Six, 27 titres de ce genre, souvent parmi les plus médiatiques, ont été mis sous le feu des projecteurs de l’E3, plusieurs mois ou années après leur lancement initial.
Enfin, à l’inverse de la cuvée 2018, où des superproductions au long cours comme The Elder Scrolls VI ou Beyond Good & Evil 2 renvoyaient vers un avenir lointain – et une probable sortie à la décennie prochaine –, cette fois-ci pas un seul titre n’a été explicitement associé à une sortie en 2021 ou au-delà. A l’inverse, 127 jeux, extensions ou contenus supplémentaires, soit 35 % de la production du salon, sont calés en… juin 2019, le mois même de l’événement.
Autrefois grande foire de la mise en scène de futurs désirables, l’E3 se rapproche de plus en plus d’un festival de réclames pour les jeux vidéo tout juste mis en boutiques.
Les suites, nombreuses mais pas majoritaires
Pour autant, il ne faut pas réduire le salon du jeu vidéo à la poignée de conférences de ses plus grands acteurs. Ceux-ci renvoient une vision déformée de l’industrie, dans laquelle les majors de l’industrie ne sont plus majoritaires.
Ces dernières années, la scène indépendante a explosé, s’est structurée et représente aujourd’hui près de la moitié des jeux qui font l’actualité de l’E3. Ces jeux contribuent largement à renouveler le paysage vidéoludique : 124 des 165 nouvelles franchises viennent du monde indé – et 69 jeux sur 97, si l’on écarte les titres pré-2019 inclus dans les offres Stadia et Xbox Game Pass. Un chiffre à opposer à la production des grands éditeurs, composée à plus de 50 % de suites, de rééditions et de nouveaux contenus pour des titres déjà existants.
Il existe toutefois des exceptions de part et d’autre : les jeux indés à succès The Messenger et Chivalry bénéficieront d’un contenu téléchargeable, Pic-Nic, et d’une suite ; tandis que les géants Bethesda et Ubisoft ont présenté de nouvelles licences, Deathloop et Gods & Monsters.
Sony absent, mais la PlayStation 4 omniprésente
Autre phénomène en trompe-l’œil : l’absence de Sony du salon, pour la première fois de son histoire, ne s’est pas concrétisée par l’absence de jeux PlayStation 4, au contraire. Près d’un jeu présenté sur deux tournait sur sa console.
La machine leadeuse de cette génération de consoles a semblé omniprésente, une impression renforcée par l’activité de ses comptes sur les réseaux sociaux et le partage sur YouTube d’une centaine de bandes-annonces E3 en une semaine, dont celles de Minecraft Dungeons, FIFA 20 ou encore Final Fantasy VII Remake.
D’une manière générale, la PlayStation 4, la Xbox One et la Switch se sont partagé la grande majorité des projets abordés. Sur ordinateur, Epic a été étonnamment discret, tandis que Steam reste la plate-forme par défaut. Les jeux mobiles ont, eux, brillé par leur discrétion, pour des raisons essentiellement historiques : l’E3 est un salon organisé par des acteurs tournés vers les supports classiques.
Quant à la réalité virtuelle, elle est passée de mode après avoir affolé le salon en 2016 et 2017. Chez les grands éditeurs, seul Bethesda a confirmé la sortie à l’été de son Wolfenstein : CyberPilot. Les autres ont complètement déserté, à l’image d’Ubisoft, pourtant très présent sur ce marché il y a deux ans. Heureusement, des producteurs indépendants spécialisés continuent d’y croire. A l’E3, on a compté 27 titres en réalité virtuelle, dont une vingtaine de nouveautés. Mention spéciale à Pistol Whip, mélange psychédélique de jeu de tir et d’expérience musicale.
Les jeux d’aventure mènent le train
Quels sont les genres à la mode ? Les jeux de rôle auront été particulièrement à la fête cette année, avec cinq Final Fantasy, Cyberpunk 2077, un portage de The Witcher 3 : Wild Hunt sur Switch et l’annonce de la suite de The Legend of Zelda : Breath of the Wild. Surtout, une grande partie de la production indé s’oriente vers des expériences narratives et immersives, tantôt minimalistes ou sophistiquées, dont le succès ne se dément pas. Cette année, elles s’appellent Way to the Woods, Hollow Knight : Silksong ou encore The Good Life.
Par ailleurs, la gâchette demeure l’ustensile de prédilection d’une grande partie de la production, notamment emmenée par les nombreux jeux de tir, souvent déconseillés aux moins de 18 ans, présentés par Bethesda (Wolfenstein Youngblood, Doom Eternal), Microsoft (Gears 5, Halo Infinite) et Ubisoft (toute la gamme « Tom Clancy »).
Dans les genres en déshérence, signalons celui de la course automobile, qui n’a jamais retrouvé sa popularité de la fin des années 1990 et début des années 2000, et celui du sport, pour des raisons inverses. L’hégémonie commerciale de FIFA en football et de NBA 2K en basket-ball semble avoir dissuadé de nombreux prétendants potentiels à se risquer sur ce marché quasi monopolistique. Peut-être est-ce la même raison pour laquelle les « battle royale » à la Fortnite ont été si rares.
La France, sixième producteur en nombre de jeux
Au niveau mondial, l’E3, salon californien, donne à voir la nette domination américaine sur la production en nombre de projets, devant son rival historique, le Japon, et le Royaume-Uni et le Canada, quasiment au coude-à-coude.
L’industrie française, sixième, tient son rang. A Los Angeles, seize projets principalement conçus dans l’Hexagone ont été présentés ou cités sous une forme ou une autre, dont certains ont marqué les esprits, comme le retour de la licence Microsoft Flight Simulator par les Bordelais d’Asobo, le nouveau projet intriguant des Lyonnais d’Arkane, Death Loop, ou le toujours très populaire jeu de danse d’Ubisoft Montreuil, Just Dance 2020.
La France se situe au troisième rang européen derrière le Royaume-Uni et la Suède et juste devant la Pologne, qui confirme son rang de nouvelle puissance majeure du jeu vidéo. A noter que l’E3 renvoie une image déformée de l’industrie : les jeux indés, mobiles et la production asiatique, abondante, y sont sous-représentés.
Dans le détail, la France se distingue surtout par ses différents jeux de course produits entre Paris et Lyon par l’éditeur lillois Bigben Interactive et ses jeux narratifs basés sur la psychologie des personnages, comme Life is Strange 2 ou Nightcall.
Une spécialité comme une autre : la Pologne, elle, enchaîne plutôt les jeux d’horreur, comme Carrion, Blair Witch ou Dying Light 2. Le Japon, lui, demeure le plus gros producteur de jeux de rôle : E3 de transition ou pas, il y a des fondamentaux qui ne changent pas.
- Les données que nous avons compilées
La liste interactive complète des jeux se trouve ci-dessous. Le total dans les infographies n’est pas toujours de 352, en raison de jeux parfois classés dans deux catégories différentes ou dont une information comme la date de sortie n’est pas renseignée. Vous pouvez signaler toute erreur ou tout oubli aux adresses audureau@lemonde.fr ou breteau@lemonde.fr.