Adil Rami reçoit le ballon dans son camp, à mi-chemin entre son gardien et le rond central, lève la tête et temporise. Aucun adversaire n’étant à moins de quinze mètres, le défenseur central tricolore a tout le temps de réfléchir à ce qu’il peut faire. Deux secondes s’écoulent. Il choisit finalement d’écarter le ballon à sa droite, vers Bacary Sagna, positionné légèrement plus haut. Collé à sa ligne de touche, le latéral n’a alors plus trop le choix : il faut soit renvoyer la balle à l’expéditeur, soit la balancer devant, soit jouer latéralement vers N’Golo Kanté (21 passes du premier vers le second, record du match).

Dans tous les cas, aucun adversaire ne sera éliminé. Cette situation, vue plusieurs fois contre le Cameroun puis la Roumanie, s’est répétée mercredi face à l’Albanie. Avec des variantes, tout aussi éclairantes : Rami pour Koscielny (20 passes) ou Rami pour Kanté (14). Si les Tricolores se sont fait des passes, la plupart l’ont été à bonne distance des joueurs offensifs, et donc du but adverse. D’où l’ennui.

Ce problème, c’est celui de la relance. Un thème récurrent en équipe de France depuis plusieurs semaines, et pour cause : les adversaires, sur la défensive, ne se recroquevillent pas devant leur but mais quadrillent le milieu de terrain. Contrairement à un pressing classique, qui met sous pression le porteur de balle, celui-ci pourrait être qualifié de « passif-agressif ». Les Albanais, comme les Roumains, restent bien en rang, assez loin pour laisser aux Bleus le loisir de construire leur jeu, suffisamment près pour ne pas être sous pression. Avant de penser à battre la défense, il faut donc percer le milieu. Et, pour l’instant, c’est là où le bât blesse.

Nette infériorité numérique

Car aucun système de jeu ne peut remplacer quelques notions géométriques de base. Quand on part de derrière, l’équipe qui n’a pas le ballon est en supériorité numérique. Pour créer des décalages, il faut soit qu’un joueur dribble son adversaire direct – risqué et compliqué –, soit fixer le bloc adverse et l’obliger à se désolidariser. Pour l’instant, Koscielny mais surtout Rami, pour des raisons qui doivent forcément être liées à une envie de ne surtout pas faire de bêtises, n’osent pas avancer avec le ballon et se heurtent à une ligne invisible à l’approche du rond central. Leurs partenaires sont donc obligés de rester près d’eux, et ce sont alors cinq joueurs maximum que Kanté – qui n’occupe habituellement pas ce poste de premier relanceur – doit trouver au milieu de dix adversaires.

Face à l’Albanie, le problème fut encore plus criant en première période, quand le 4-2-3-1 de Didier Deschamps, coupé en deux, empêcha les Bleus de poser leur jeu. Blaise Matuidi, qui devait faire le lien entre le récupérateur Kanté et le meneur Payet, était pris entre deux feux. Mais, qu’il choisisse de se rapprocher du premier ou du deuxième, le résultat ne changeait pas : impossible de réussir une passe intéressante vers l’avant sans prendre le risque de perdre le ballon. Le jeu collectif étant limité à sa forme la plus fade, la passe à dix derrière, le seul moyen de faire des différences était de passer par les airs vers Olivier Giroud, ou donner le ballon aux ailiers, rapides et bons dribbleurs. Dans ce contexte, Kinglsey Coman s’en est bien sorti mais Anthony Martial a presque tout raté.

La France face à l’Albanie, le 15 juin. | Yves Herman / REUTERS

Puisqu’elle ne va pas au pressing quand elle perd le ballon et préfère se replier – l’inverse de ce que font l’Espagne ou l’Allemagne, équipes pourtant capables de remonter le ballon facilement –, l’équipe de France est constamment obligée de lancer ses attaques de loin. Et puisque ses problèmes commencent au milieu, c’est dans ce secteur que les critiques pleuvent et que les choix du sélectionneur sont hésitants. Le retour au 4-3-3 en deuxième période contre l’Albanie a prouvé que ce système marchait sans doute un peu mieux que l’autre, même si c’est en 4-2-3-1 que la différence avait été faite quelques jours plus tôt.

Bâtie pour contrer

N’Golo Kanté étant irréprochable, ce sont ses compères qui prennent : d’abord Paul Pogba, privé de son habituel côté gauche et souvent pris à deux, mais aussi Blaise Matuidi, joueur de projection limité techniquement et plus à même de magnifier un collectif que d’en être le ciment. La rentrée du Turinois, auteur d’une avant-dernière passe sublime de cinquante mètres sur le but du 2-0, confirme qu’il est plus un symptôme qu’une cause. De même qu’Antoine Griezmann, l’autre leader critiqué et sorti du onze titulaire, dont la tête a tout débloqué.

Défaillante dans ce qu’on appelle le « jeu de position », l’équipe de France déçoit bon nombre d’observateurs, principalement à l’étranger où les buts tardifs ne suscitent pas la joie qui fait oublier l’heure et demie précédente. En l’état, on ne voit pas comment elle trouverait subitement les clés pour imposer son jeu et on risque, si la Suisse décide aussi d’attendre dans le rond central, d’avoir un nouveau spectacle décevant. Cela ne préjuge pourtant pas de la suite de la compétition.

Car si la France veut aller au bout, elle devra forcément affronter des équipes bien plus au point qu’elle dans la maîtrise du jeu. Plutôt que de se faire pâle copie, elle prend actuellement un chemin différent : celui d’une équipe de contre, rapide, qui gère ses efforts mais n’a pour l’instant pas l’occasion de contrer. Et qui peinerait sans doute beaucoup plus face à l’Italie, dont le pragmatisme s’accompagne d’une vraie rigueur, que contre ces équipes emballantes qu’on rêverait qu’elle imite.