L’ONF en pleine crise
L’ONF en pleine crise
Par Thibaud Métais
Le gestionnaire des forêts françaises, déjà affaibli par une crise sociale, est privé depuis six mois de conseil d’administration.
Dans la forêt de Vizzavona, en plein cœur de la Corse, le 1er novembre 2015. | PASCAL POCHARD CASABIANCA / AFP
Le feu couve de nouveau à l’Office national des forêts (ONF). Aux contextes financier et social préoccupants, s’ajoute désormais une crise de gouvernance. L’ONF fonctionne sans Conseil d’administration (CA) depuis que le mandat de ses membres s’est terminé le 18 mars. Un nouveau président de CA devrait être nommé, jeudi 22 septembre, en conseil des ministres. Mais cette période de vacance de six mois, une première depuis sa création en 1964, a laissé des traces dans cet établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) de 9 000 salariés.
L’ONF, chargé de la gestion durable des forêts publiques (exploitation et entretien de près de 10 millions d’hectares de forêts et de bois), vit dans un malaise quasi quotidien depuis de nombreuses années avec la perte d’un tiers de ses effectifs en vingt-cinq ans, une trentaine de suicides en dix ans, et un enchaînement de réformes structurelles. Un audit socio-organisationnel commandé à l’acmé de la crise sociale, en 2012, avait révélé, après cinq mois d’analyse en interne, une situation préoccupante. Démotivation au travail, niveau de stress élevé, risque important de trouble psychosociaux, perte de repères, les conclusions de l’audit dressaient un portrait alarmant de l’office et dénonçaient logiquement son instabilité chronique.
L’ONF doit « s’adapter »
Mais la quiétude ne semble pas encore au programme de l’office. Annoncée par la direction générale en début d’année, une nouvelle réforme territoriale, dont le but est d’adapter l’organisation de l’ONF à la nouvelle carte des régions, doit être mise en place le 1er janvier 2017. « En tant qu’établissement public, l’ONF ne peut s’abstraire de s’adapter », affirme Christian Dubreuil, le directeur général, défendant une réforme qui doit réduire le nombre de directions territoriales (DT) de neuf à six. « S’adapter aux régions, c’est bien, aux forêts, c’est mieux », rétorque Philippe Berger, le secrétaire général du syndicat majoritaire, Snupfen, regrettant un manque de cohérence entre le périmètre des nouvelles DT et les ensembles forestiers de l’Hexagone. « On se retrouve notamment avec une DT mastodonte qui regroupe les régions Occitanie et PACA sans aucune logique forestière », abonde son homologue d’EFA-CGC, Gilles Van Peteghem.
L’annonce avait plutôt surpris, le directeur ayant déclaré, lors d’une réunion, en septembre 2015, ne pas avoir « l’intention de reprendre l’organisation de l’ONF, dans la mesure où [il] lit partout que ses personnels ont besoin de stabilité ». Surtout, les syndicats, qui font front commun contre la réforme, regrettent qu’elle n’ait fait l’objet d’aucune étude d’impact, « alors même que le CA du 18 mars demandait l’étude de plusieurs scénarios », souligne Gilles Van Peteghem. Véronique Delleaux, de la CGT-Forêt, s’indigne, elle, de voir « la direction passer en force en l’absence de CA ».
Les deux ministères de tutelle – de l’agriculture et de l’environnement – se veulent cependant rassurants quant à cette vacance. Le cabinet du ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, promet « un nouveau conseil avant la fin septembre ». Toujours est-il qu’au regard du Code forestier, selon l’article fixant les compétences du conseil d’administration, ce dernier doit notamment délibérer sur « les mesures relatives à l’organisation générale de l’office » (art. D222-7, 11). L’absence de CA réduit donc les prérogatives de la direction générale concernant la réforme territoriale. Une sortie de crise rapide est indispensable, puisque le CA, qui ne s’est réuni qu’une seule fois en mars, doit être convoqué au moins trois fois par an (Article D222-5) et que c’est en fin d’année qu’il valide notamment les budgets.
Abandon du label environnemental
« Tout acte qui relève d’une décision du CA attendra qu’il se réunisse pour être validé », tente-t-on de rassurer au ministère de l’agriculture. Christian Dubreuil précise également que le prochain conseil « devra valider la réforme ». Philippe Berger n’y croit pas : « Il se moque de nous. Les annonces de postes ont été faites, le partage des fonctions aussi. » « Il a nommé des directeurs préfigurateurs et un calendrier est mis en place », renchérit M. Van Peteghem. Le ministère de l’agriculture soutient publiquement la réforme, mais sa secrétaire générale, Valérie Metrich-Hecquet, a toutefois jugé utile de préciser, lors d’un comité technique ministériel en février, « qu’aucune instruction n’a été donnée par le ministère sur l’obligation de rendre l’organisation de l’établissement conforme à la réorganisation administrative ». Renvoyant la balle, le directeur objecte qu’il a été « mandaté par le gouvernement pour mener » la réforme.
Outre cette réorganisation, une autre mesure prise en l’absence de CA inquiète les syndicats : l’abandon de deux normes ISO garantissant à l’ONF la certification PEFC, un label environnemental qui promeut et certifie une gestion durable des forêts. Sans ces normes, l’ONF peut-elle se voir retirer le label ? « Pas du tout, répond fermement Patrick Soulé, directeur général adjoint. On va juste devoir passer par le propre audit de PEFC désormais. » Sur le terrain, les agents sont sceptiques mais, signe de l’ambiance pesante qui règne dans l’organisme, ils refusent de parler ouvertement. « C’est peut-être vrai, mais pourquoi changer quelque chose qui fonctionne, s’interroge un ouvrier. Cela fait des années qu’on nous dit de nous conformer à ces normes, et finalement on apprend que ce n’est pas si important. Tout ça manque de logique. »
Crispation des organisations syndicales
Au cœur de ces désaccords, un homme cristallise les tensions : Christian Dubreuil, nommé par l’Elysée en juillet 2015 – il dirigeait l’Agence des espaces verts d’Ile-de-France depuis 2010. Sa réputation d’homme autoritaire avait crispé les organisations syndicales avant même son arrivée, et la situation s’est très vite envenimée. Début août 2015, réagissant à une demande de l’Inspection générale des finances qui, échaudée par les affaires Agnès Saal et Mathieu Gallet, réclamait plus de transparence dans les dépenses des directions d’établissements publics, le tout nouveau directeur s’indignait – dans un mail que Le Monde s’est procuré – de « ces pauvres inspecteurs des finances [sans] imagination, qui en sont à chercher à savoir s’il y a parmi [l’ONF] des clones d’Agnès Saal et du clown de Radio France » avant de se dire « frappé de la modestie du traitement d’un directeur d’office de 9 000 personnes ».
« Ce mail a jeté un froid, confie un ancien agent. L’ONF, c’est une maison particulière, on n’y vient pas par hasard, on y rentre un peu comme dans les ordres. Alors, entendre son nouveau directeur parler ainsi et se plaindre de sa rémunération trois semaines après son arrivée, ça fait désordre. » De plus, l’autoritarisme de cet énarque de 60 ans s’est vite confirmé pour certains puisque, à peine en poste, il limogeait plusieurs cadres, certains une semaine seulement après son arrivée. « Il est normal qu’un nouveau directeur installe de nouvelles équipes, mais il y a des règles de respect, s’emporte Gilles Van Peteghem. Dès le départ ça a été : “C’est moi qui décide, point barre !” »
Un dernier événement s’ajoute à la pagaille interne. Le 28 septembre, l’Association française des eaux et forêts organise un colloque au palais du Luxembourg, à Paris, intitulé « Pour un essor de la filière forêt-bois ». Et sur les 300 représentants du secteur annoncés… aucun de l’ONF ! Seul Jean-Yves Caullet, désormais ex-président (depuis le 18 mars) du conseil d’administration de l’office, sera présent. Selon les informations du Monde, M. Dubreuil a refusé que ses troupes participent à l’événement, et n’a rien fait pour le promouvoir en interne. Une étincelle de plus dans les rouages d’un établissement qui menace de s’enflammer.