Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker et Francois Hollande en 2015. | STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

C’est peu dire que l’exercice est délicat cette année, alors que Bruxelles est suspendue à deux scrutins électoraux majeurs en France et en Allemagne, dont dépend en grande partie son avenir et celui de l’Union européenne (UE).

La Commission européenne a présenté ce mercredi 22 février son rapport annuel sur les « déséquilibres macroéconomiques » dans l’Union, en distribuant les bons et les mauvais points. Mais en des termes encore plus choisis que d’habitude, et en se gardant bien de hausser trop le ton.

Cette procédure concernant les déséquilibres, moins contraignante que le pacte de stabilité et de croissance (le fameux plafond d’un déficit public inférieur à 3 % du PIB), a été mise en place en 2011 pour tenter de mieux anticiper et de corriger les divergences macroéconomiques entre Etats membres, afin d’éviter qu’elles ne mettent en péril des économies très interdépendantes, notamment dans l’eurozone.

La France, une fois n’est pas coutume, reçoit une forme de prudent satisfecit. Elle reste rangée dans la catégorie des pays à déséquilibres excessifs, et la Commission continue à pointer une dette publique encore très élevée (96,4 % du PIB en 2016, 96,7 % en 2017), un déficit public encore conséquent (même si pour la première fois depuis neuf ans, il devrait repasser sous la barre des 3 % du PIB en 2017), une fiscalité jugée trop élevée pour les entreprises et un déficit commercial toujours conséquent.

Les réformes annoncées ont bien été mises en œuvre

Cependant, Bruxelles souligne que les réformes annoncées (et recommandées de longue date), ont bien été mises en œuvre. Notamment la loi El Khomri, qui contribue à « réduire les rigidités du marché du travail » et le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), « qui a eu un effet positif sur l’emploi ». A la Commission, on estime que les moteurs pour résorber les deux faiblesses de l’économie hexagonale, le manque de compétitivité et les déficits publics, sont en marche et que la dette publique a du coup des chances de se stabiliser, et de ne pas atteindre le seuil symbolique des 100 % du PIB.

Ce diagnostic n’est pas complètement neutre concernant le mandat de François Hollande… « La Commission européenne reconnaît l’impact positif des réformes économiques menées au cours des dernières années en France. Elles commencent à porter leurs fruits sur la compétitivité de l’économie française, qui pourrait passer dès 2018 dans la même catégorie que l’Allemagne. La France a réduit les déséquilibres de son économie. Ce sera la responsabilité du prochain gouvernement de continuer dans cette voie », assure Pierre Moscovici, le commissaire à l’économie (qui fut ministre des finances du gouvernement Ayrault).

Le message de Bruxelles est sans ambiguïté : sauf changement complet de politique par le futur président de la République, le pays est dans la bonne voie et pourrait même sortir de la procédure de déséquilibres excessifs en 2018. Elle reste cependant encore très loin des impressionnantes performances de l’économie allemande.

L’Allemagne, elle non plus, ne change pas de catégorie : la Commission européenne continue à considérer que la première économie de l’eurozone présente des « déséquilibres » mais juge toujours qu’ils ne sont pas « excessifs ». Pourtant, son excédent courant a encore battu un record historique en 2016, à 297 milliards de dollars, soit plus de 8 % de son PIB, avec des exportations plus importantes que jamais. Or, selon les critères retenus par Bruxelles, un excédent courant dépassant 6 % du PIB annuel d’un pays menace la stabilité économique de la zone euro…

Neutralité vis-à-vis de Berlin

« Dans le cas de l’Allemagne, nous constatons encore une fois que l’excédent courant très important n’est pas sain pour l’économie, et en plus qu’il crée des distorsions importantes économiques [et aussi politiques] pour la zone euro tout entière. Donc, même si nous ne classons pas l’Allemagne dans la catégorie des déséquilibres excessifs, nous sommes clairs que ceci est un déséquilibre significatif », a cependant souligné M. Moscovici, mercredi.

« En même temps, nous devons reconnaître que l’Allemagne a quand même commencé l’année passée à relancer l’investissement public. Il faut faire plus, et nous allons suivre de près l’évolution de cette situation, qui est tout à fait clé pour la zone euro », a ajouté le commissaire.

Cette neutralité vis-à-vis de Berlin risque à nouveau d’alimenter les critiques notamment au sein de la gauche européenne. Cette-ci trouve Bruxelles beaucoup plus prompte à dénoncer les déficits publics excessifs qu’à pointer du doigt des excédents, qui pourtant risquent d’étouffer les économies des partenaires de l’Allemagne.

Mais la Commission est coincée : comment « sanctionner » Berlin en pleine année électorale ? Dans un pays où la thématique des excédents budgétaires et/ou courants est si populaire ? Cela risquerait d’être perçu comme une attaque en règle de la politique de la chancelière allemande : impensable… Surtout pour une institution communautaire qui souffre d’un déficit de crédibilité à Berlin où on lui reproche de n’avoir pas appliqué le pacte de stabilité et de croissance à la lettre ces deux dernières années. De fait : l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la France ont échappé à des sanctions bien qu’ils n’aient pas respecté leurs engagements en termes de trajectoires budgétaires.

La commission Juncker revendique certes sa propension à faire de la « politique », mais cela rend les procédures bruxelloises (« pacte de stabilité », « procédure pour déséquilibres économiques ») encore moins lisibles...