Dans les prépas parisiennes, n’y a-t-il que des riches, des binoclards et des Parisiens ?
Dans les prépas parisiennes, n’y a-t-il que des riches, des binoclards et des Parisiens ?
Voici la première d’une série de chroniques qui interrogent les idées communément répandues concernant ce cursus, par une ancienne khâgneuse de « grand » lycée parisien.
Des étudiants attendent l’ouverture du lycée Henri-IV, le jour de la rentrée, le 23 septembre 1963, à Paris. | AFP
Julia Benarrous, forte de ses deux années en classe prépa littéraire dans un prestigieux lycée parisien, commence une série de chroniques à l’intention des futurs bacheliers, avec l’objectif de questionner les idées communément répandues concernant ce cursus.
Elèves de terminale qui envisagez de faire une classe préparatoire littéraire après le bac, vous n’avez probablement pas échappé, sur Internet, aux avis ressassant l’éternelle dialectique de la prépa : ce serait un enfer où règnent l’esprit de compétition et une charge de travail effrayante, mais on y apprendrait beaucoup et le jeu en vaudrait la chandelle, à condition d’être préparé psychologiquement…
Entre témoignages d’élèves traumatisés et propagande des grandes écoles, il paraît difficile de trouver des éléments qui parlent vraiment. Je préfère évoquer ici une question de fond : plutôt qu’« à quelle heure pourrai-je me coucher en prépa ? » (accompagné de moult GIF), je tâcherai de répondre à « ai-je ma place en prépa, même si je ne viens pas d’un grand lycée parisien ? ».
Intellos bien costauds, fils de profs et de PDG ?
D’anciens présidents de la République, des écrivains célèbres, des profs de prépa… Ce sont les ex-« khâgneux » qui viennent spontanément à l’esprit. Ensuite on se figure habituellement des intellos bien costauds, mais aussi des fils de profs et de PDG de toute sorte (encore que la filière littéraire ait été si dévaluée ces dernières années qu’on aura plus de chances de les trouver dans des classes préparatoires scientifiques ou économiques, mais c’est un autre sujet). Pour finir, la prépa est volontiers associée à Paris, qui, il est vrai, concentre un grand nombre de khâgnes et donc de bonnes khâgnes.
Sur le côté binoclard, évidemment, la sélection sur dossier à l’entrée de la prépa a pour conséquence un taux de bons élèves particulièrement élevé. C’est le but. Mais rien ne sert de craindre une armada de jeunes gens désagréables et obsédés par le travail lors de votre rentrée en hypokhâgne. Vous trouverez de tout, des scouts qui préféreront toujours préparer leur camp d’hiver plutôt que le concours blanc de décembre, des sportifs qui vont à la salle trois fois par semaine, des romantiques qui veulent continuer à lire de la poésie, quitte à se coucher plus tard (ou à boycotter les lectures obligatoires… la prépa compte son lot de rebelles). Vous qui voulez faire une prépa, vous avez de bonnes notes et pensez sûrement être sympathique et ouvert d’esprit ? Eh bien la majorité des gens seront comme vous, donc n’ayez crainte.
Avoir les moyens de financer des études à Paris
Evoquons maintenant la « parisianité » des prépas parisiennes prestigieuses. Il est vrai qu’elles acceptent un certain pourcentage d’élèves issus de leurs classes de lycées. Toutefois, le recrutement se fait à l’échelle nationale et laisse donc sa chance à tous, sur le papier… A condition d’avoir les moyens de financer des études à Paris, de supporter de vivre seul ou en internat, de perdre du temps à faire ses courses au lieu de se plaindre à ses parents. A condition aussi de résister à l’anonymat des grandes villes et à celui des classes de prépa surpeuplées. C’est une exclusion économique et sociale réelle. Il n’empêche, les bourses du Crous (accordées à 30 % des élèves de prépa) et les aides au logement facilitent parfois le sacrifice de certaines familles pour envoyer leurs rejetons, tel Balzac en son temps, à l’assaut de la capitale.
Au final, dans ma classe en hypokhâgne, il y avait deux tiers de provinciaux ou d’élèves issus de la grande banlieue (et qui devaient donc trouver une chambre à Paris pour ne pas faire une heure trente de trajet chaque matin). Et quelques-uns de mes camarades venaient de villages, incités à postuler par leurs profs de lycée.
Qu’est-ce qui nous rassemblait ? Pourquoi avions-nous penché pour la prépa, plutôt que pour l’université ou une école postbac, ou que sais-je encore ? Nous avions tous en commun d’avoir été au lycée de bons élèves et de vouloir suivre une formation pluridisciplinaire d’excellence. Qui pour se donner le temps de réfléchir, qui par curiosité intellectuelle, qui parce qu’il rêvait d’une formation prestigieuse.
Dans ma khâgne, il n’y avait pas que des littéraires, mais aussi des élèves qui voulaient, depuis le départ, faire une école de commerce, ou encore Saint-Cyr (l’école militaire). Certains étaient indécis, d’autres voulaient réussir le concours de l’ENS (Ecole normale supérieure) depuis le collège. Il n’y a pas un profil type de l’étudiant en classe prépa ! Il va de soi que la prépa exige investissement et rigueur, que c’est une expérience difficile, mais c’est possible.
Cela nous amène à ce qui sera le thème de ma prochaine chronique : faut-il sortir du « bon » milieu pour avoir une chance de réussir en prépa ?