« C’est ici que se tiennent les briefings presse chaque jeudi à 11 heures pour faire le point sur les différentes opérations… » On est au ministère de la défense, avec un léger sentiment d’usurpation. Parce que si nous sommes bien journalistes, nous ne sommes pas de ceux qui analysent les interventions militaires de la France en Syrie ou au Mali, mais plutôt des représentants du quatrième pouvoir, option Télé 2 Semaines qui se demandent si « Malotru », pris en otage dans la deuxième saison du Bureau des légendes de Canal+, va s’en sortir. Au fond de la salle de presse, Jean-Pierre Darroussin. Il a les bras croisés, ce qui le fait déjà ressembler à un directeur, comme celui qu’il interprète dans la série.

Produit avant sa série, le film d’Éric Rochant Les Patriotes est aujourd’hui utilisé en film de formation pour les agents de la DGSE. Après avoir compris l’intérêt d’avoir des journalistes embedded, l’armée française s’est convaincue de celui de se mettre le cinéma et la télé dans la poche. C’est le soft power. En 2016, à l’occasion du lancement de la deuxième saison de la série, le ministère de la défense annonçait la création d’une Mission cinéma, « un enjeu de rayonnement majeur » pour les armées françaises, rappelait Jean-Yves Le Drian. Le ministère de la défense prépare même l’ouverture de résidences de scénaristes, et cette année, la série et le ministère auront un pavillon commun au Festival de Cannes.

« Quand vous prenez un selfie avec un agent de la DGSE, vous ne pouvez pas le partager et eux non plus d’ailleurs. » Jonathan Zaccaï, acteur

Pour être prise au sérieux, la série met en avant les conseils entendus des agents de renseignement. Mais pour être pris au sérieux, les agents ne sont pas supposés raconter leur métier. « Le peu qu’ils nous disent est probablement faux ou on peut le retrouver ailleurs », note la scénariste, Camille de Castelnau. « C’est plutôt rassurant… », approuve Isabelle Morini-Bosc de RTL. Depuis les attentats, on est tous embedded, chargée de la sécurité du pays. Interprète-otage du Bureau des légendes, Mathieu Kassovitz observe que le Pentagone a depuis longtemps l’habitude de mettre ses moyens à disposition des réalisateurs. C’est Hollywood qui fait que « les Français connaissent le FBI mais pas la DGSI, la NASA mais pas l’Agence spatiale européenne… ». Il a vu les films institutionnels de recrutement de la DGSI, les trouve « nuls à chier ». Normal, se dit-il, ce n’est pas leur métier. Si Le Bureau des légendes peut donner envie de rejoindre des services, il jugerait ça plutôt bien. « Plutôt que le foot à la télé qui donne envie d’être joueur de foot », ajoute Darroussin. « Quand on parle à la DGSE, ils n’engagent pas des fanatiques… Ils veulent des gens amoureux des pays arabes. Le but n’est pas de manipuler mais de comprendre », rajoute Kassovitz.

Le souci de « faire vrai »

Chez ces gens dont les vies fournissent les toiles de fond de la série, c’est la discrétion qu’ils retiennent. « Quand il n’y a pas d’attentat, des gens travaillent pour qu’il n’y en ait pas. Pas d’attentat aujourd’hui, ce n’est pas une info mais c’est une info », résume Kassovitz. Des professionnels qui emploient leur énergie à s’assurer qu’on ne parle pas de ce qu’ils font… Pour des acteurs, c’est effrayant. « Nous, si personne ne parle de ce qu’on fait, c’est la merde », dit l’acteur Jonathan Zaccaï. Autre différence, « quand vous prenez un selfie avec un agent de la DGSE, vous ne pouvez pas le partager et eux non plus d’ailleurs ».

Au centre, Alex Berger, le producteur de la série, et Camille de Castelnau, scénariste, à sa gauche. | GUILLEMETTE FAURE POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »

Une responsable de Canal+ demande de ne pas annoncer la date de diffusion de la troisième saison. « Elle est sur Twitter », répond un journaliste. On peut travailler avec la DGSE et manquer de renseignements. Que va-t-il s’y passer ? « À la fin de la deuxième saison, on s’était mis dans une situation un peu compliquée, explique Camille de Castelnau. On crée des situations haletantes et on ne sait pas comment s’en sortir… » Ce qui fournit peut-être un point commun avec le ministère. La série, explique-t-elle, « c’est un peu comme un paquebot qui se construit en avançant ». La métaphore est d’Éric Rochant, par chance meilleur en films et séries qu’en production de métaphores.

« Ça fait spectacle tout seul, la vie… Regardez tout ce qui s’est passé pendant la campagne électorale… » Éric Rochant, réalisateur

L’auteur-réalisateur se pose aussi d’autres questions. « L’extrême droite va-t-elle prendre le pouvoir, pour la première fois depuis 1939 ? Les nervis du GUD vont-ils réellement entrer au ministère de l’intérieur ? À la DGSE ? La DGSI ? » Mais ça, ce n’est pas dans le teaser de la troisième saison, ni même dans les questions qu’il se pose devant nous mais dans son message de soutien à Emmanuel Macron. Ce matin, on parle plutôt de son souci que « ça fasse vrai ».

Au début de la série, raconte-t-il, Canal+ avait souhaité y voir plus d’action. « Mais on ne meurt pas en France quand on est agent. Enfin si, mais pas beaucoup… » Dans House of Cards, un type précipite une journaliste sur les rails du métro et la série passe à la suite. « Ça n’arrive pas ou alors ça fait un scandale planétaire, en tout cas si ça arrive ça doit devenir le cœur de la série, pas être anecdotique. » « Ce n’est pas difficile d’avoir des situations qui sortent de l’ordinaire, mais il faut les traiter comme dans la vie. Si Malotru-Kassovitz s’en sort, ça doit prendre du temps et des larmes », poursuit Éric Rochant. Et d’ajouter : « Ça fait spectacle tout seul, la vie… Regardez tout ce qui s’est passé pendant la campagne électorale… »

La bande-annonce de la saison 3 du « Bureau des légendes »

Le Bureau des Légendes Saison 3 - Teaser CANAL+ [HD]
Durée : 00:37