Ces hommes qui choisissent les métiers du « care »
Ces hommes qui choisissent les métiers du « care »
Par Agathe Charnet
« Sages-femmes », infirmiers, employés de crèche, ils font face au quotidien à toutes sortes de stéréotypes liés à leur choix d’une profession exercée en général par des femmes.
Les hommes représentent 17 % des élèves infirmiers. AFP PHOTO / PHILIPPE HUGUEN / PHILIPPE HUGUEN / AFP
« Etre sage-femme, c’est devenu un défi pour moi ! Puisque je suis un homme, autant y aller à fond. » Flavio Rancon, 22 ans, est étudiant en master à l’école des sages-femmes d’Angers. Pour ce jeune homme – qui préfère l’appellation « sage-femme » à « maïeutitien » –, cette orientation n’a pas été initialement un choix. « Après avoir tenté médecine, je n’ai eu que sage-femme. Mais, en faisant des recherches je me suis aperçu que ce métier est vaste et intéressant. » Et Flavio Rancon est déterminé à trouver sa place, en salle d’accouchement comme à l’école – où ils ne sont que deux garçons pour une centaine de filles.
Une configuration qui est loin d’être une exception. Les hommes représentent environ 1,5 % des professionnels de la petite enfance, 2,6 % des sages-femmes et 17 % des élèves infirmiers. En effet, les métiers du soin à la personne ou « métiers du care », concept théorisé en 1982 par la philosophe américaine Carol Gilligan, sont traditionnellement l’apanage du féminin.
« Les femmes ont longtemps pris en charge les enfants et les personnes malades, à titre gratuit, dans l’espace privé, analyse Pascale Molinier, professeure de psychologie sociale à l’université Paris-XIII et autrice de Le Travail du care (La Dispute, 2013, 224 p.). Le choix des métiers du care pour un homme est encore pour l’instant paradoxal. D’une part, car c’est aller à l’encontre des représentations stéréotypées attribuant à la femme la gentillesse et la disponibilité et, aussi, car les hommes ont accès à d’autres professions bien plus visibles et rémunératrices. »
Sexisme ordinaire
Ce paradoxe, Jean-Philippe Bazin, 35 ans, l’a vécu. Ancien responsable d’agence dans les assurances, il a choisi de se reconvertir dans la petite enfance à la suite d’un congé paternité. « C’est vraiment une quête de sens pour moi, explique cet étudiant éducateur de jeunes enfants à Malakoff (Hauts-de-Seine). Je voulais me sentir utile. Faire quelque chose pour la société. » Si Jean-Philippe Bazin constate qu’il est traité « de façon plutôt privilégiée » dans son cursus, il n’en subit pas moins du sexisme ordinaire.
« Je n’ai aucun mal à trouver un stage, au contraire, dit-il. Mais on m’a déjà dit que c’était bien d’avoir un homme dans l’équipe car j’allais incarner l’autorité. »
Des préjugés qui vont parfois jusqu’à la suspicion ou au rejet, biaisant la relation de soin. Une collègue de Jean-Philippe Bazin a eu des réticences à lui faire changer une enfant tandis que Flavio Rancon se voit refuser l’accès à « un accouchement sur dix », dit-il. « Pour le moment je ne dis rien, mais dès que je serai professionnel, ce sera différent », se promet le jeune soignant.
C’est d’ailleurs dans l’objectif de lutter contre les stéréotypes de genre que l’éducateur et formateur Mike Marchal a fondé l’Association pour la mixité et l’égalité dans la petite enfance. « Le care n’est pas réservé aux femmes, s’insurge celui qui organise notamment des groupes de parole entre professionnels. Ce sont des métiers qui impliquent une utilité sociale, de grandes responsabilités. Il y a des emplois à pourvoir et les hommes sont les bienvenus ! »
« S’occuper des autres ne devrait pas être une tâche assignée à une caste ou un sous-groupe, conclut Pascale Molinier. Ça devrait, au contraire, être une valeur civilisationnelle centrale. Il n’y a aucune raison de dire que le care est masculin ou féminin, c’est humain, tout simplement. »