Gaël Leiblang, dans sa loge pendant le match France-Uruguay, vendredi 6 juillet à Avignon. / DR.

Et un et deux et trois zéro… en 2014, année de la dernière Coupe du monde de football, cette scansion victorieuse, il la criait pour son fils, Roman, son troisième enfant, qui venait de naître. Et puis ils avaient perdu. Leur fils. Roman souffrant d’une maladie congénitale n’avait survécu que treize jours à sa naissance prématurée. « Treize jours c’est court », souffle-t-il sur scène, racontant cette promesse de l’aube devenue cauchemar et dont il a fait une pièce entre requiem et catharsis : Tu seras un homme, papa.

Théâtre de La Luna. Avignon, vendredi 6 juillet. 16 h 40. Dans sa loge, Gaël Leiblang, 41 ans, lève les deux bras. Sur un coup franc de Griezmann, Varane vient de tromper le gardien uruguayen. Goaaaal… Le comédien a posé son smartphone sur la table de maquillage. Pendant qu’il se prépare physiquement (sur scène il boxe, court, déclame en faisant de la corde à sauter) il ne quitte pas des yeux la retransmission. Entre lui et la Coupe du monde c’est une longue histoire.

A commencer par celle de 1986, lorsque ses parents se sont séparés, que son père est parti, Alain Leiblang, journaliste sportif, longtemps rédacteur en chef du magazine Onze, bras droit de Platini à la fédération française, chef du service de presse pour la Coupe du monde de 1998. Peut-être est-ce pour lui faire plaisir que le jeune Gaël a voulu lui aussi devenir journaliste sportif avant de se tourner vers le documentaire et d’être aujourd’hui sur les tréteaux du Off en Avignon.

Pas question de reporter quoi que ce soit

Zut. La retransmission bloque. Vite, un reset sur le téléphone. De toute façon son spectacle démarre comme tous les jours à 17 h 25, il ne pourra pas voir la fin du match. Pas question de reporter quoi que ce soit. Dans ces petites salles (ici, 67 places) les horaires sont aussi verrouillés que les prix de location. Car, même si une trentaine de dates sont déjà prévues à Paris au Lucernaire cet automne, c’est ici que se fait le marché…

Tu seras un homme, papa : quand, de cette chronique qu’il avait tenue pendant la trop courte vie de son fils, Gaël Leiblang a imaginé faire une pièce de théâtre, il a tout de suite pensé à Thibault Amorfini. Les deux hommes se sont connus, enfants, à traîner dans les vestiaires lorsqu’ils accompagnaient leurs pères au Variétés football club où ceux-ci jouaient (Jean-Jacques Amorfini est un ancien milieu défensif du Red star). Thibault a une compagnie de théâtre depuis une dizaine d’années. Dernièrement, il assistait Vincent Macaigne sur sa pièce Je suis un pays au théâtre de la Colline à Paris.

60e minute du match. Frappe de Griezmann. Deuxième but de la France. Delphine Menjaud, qui travaille avec Olivier Saksik sur la promotion de la pièce, a du mal à ne pas hurler. Son père à elle est arbitre. Mais ici, pas le droit de faire du bruit : derrière la fine cloison, le spectacle précédent se termine. Gaël et Thibault se tapent les mains sans les claquer.

Et sans un regard pour la fin du match, du haut de son 1 m 87, le comédien monte sur scène. Pour tenter de rendre supportable cette plongée dans les limbes de la vie, les deux hommes filent la métaphore sportive. Où l’on voit le comédien, maniant l’autodérision, expliquer au médecin qui remarque à l’échographie que la taille du fémur de Roman est trop courte : « Bah on peut être un grand sportif et petit de taille, c’est bien d’avoir un centre de gravité bas. Lionel Messi fait 1 m 69 ». 50 minutes plus tard, comme tous les jours, les lois de la gravité le rattrapent. Tristesse. Applaudissements. Rappels. Dans la loge, son smartphone affirme que la France est en demi-finale.