« Révolte dans la mode » : manifeste pour une industrie textile responsable
« Révolte dans la mode » : manifeste pour une industrie textile responsable
Par Mustapha Kessous
Le film de Laurent Lunetta et Ariel Wizman donne la parole à des créateurs qui dénoncent les travers de la surproduction de vêtements sans éthique ni démarche artistique.
Vêtements réalisés avec des imprimante 3D par la styliste israélienne Danit Peleg, à Tel Aviv. / LA GROSSE BOULE
En 2013, à l’autre bout du monde, au Bangladesh, le Rana Plaza, une usine de confection de huit étages installée à Dacca, s’est effondrée, faisant plus de mille morts. Cette tragédie a mis à nu les pratiques révoltantes des grandes marques du prêt-à-porter qui, pour vendre à (très) bas prix leurs vêtements sans style, n’ont pas hésité à exploiter sans vergogne – le mot est faible – des ouvriers. Depuis ce drame, une partie du monde de la mode a décidé de changer ses habitudes pour ne plus (a)voir du « sang dans les fringues ».
Ceux qui se rebiffent dénoncent la « fast fashion », ces enseignes qui lancent de nouvelles collections toutes les trois semaines, mais aussi la surproduction faramineuse d’habits qui en résulte : 80 milliards de vêtements sont fabriqués chaque année. Et rien qu’en France, la consommation de textile s’élève à quelque 700 000 tonnes par an. « Si l’industrie de la mode décidait d’arrêter sa production, ça ne poserait pas de problème, ça ne changerait rien. On aurait toujours assez de vêtements pour habiller tous les habitants sur Terre, et même les animaux », explique avec ironie Davil Tran, un jeune designer. « Tout est absurde dans le système de la mode », souffle Li Edelkoort.
« Il n’y a plus de production culturelle »
Cette célèbre prévisionniste des tendances a lancé, en 2015, un manifeste, « L’Antifashion », dans lequel elle décrit les travers de ce milieu comme le formatage des jeunes créateurs qu’on « stérilise par une logique du chiffre ». Alors, quand elle voit un bikini mis au prix de 4,95 euros, Li Edelkoort a « envie de vomir ». « Il est moins cher qu’un sandwich, c’est insupportable. Parce que ça donne cette idée qu’il n’y a plus de valeur », souligne-t-elle. « Aujourd’hui dans la mode, c’est le capital qui dicte la production. Il n’y a plus de production culturelle », regrette Pascale Gatzen, professeure à la Parsons School de New York.
Mais depuis quelques années, des stylistes veulent redonner du sens aux vêtements. C’est ce que montre Révolte dans la mode. Ce film donne longuement la parole à de jeunes créateurs, français et étrangers, qui veulent transformer leur industrie en la rendant plus « responsable ». Pour cela, certains n’hésitent plus à proposer des collections dont le tissu provient d’anciens habits recyclés. D’autres élaborent des vêtements avec du coton bio, entièrement traçable. D’autres encore rachètent de vieilles machines industrielles à tisser (parfois centenaires) pour retrouver une forme d’authenticité.
On peut voir aussi dans ce film des stylistes fabriquer à la main des tenues en utilisant des techniques de couture et de broderie ancestrales (c’est ce qu’on appelle « l’ultra slow-fashion »). L’Israélienne Danit Peleg a fait le choix de proposer, quant à elle, des vestes, des jupes et autres pantalons conçus par une imprimante 3D.
En effet, les nouvelles technologies sont aussi largement utilisées afin de donner un visage écologique à la mode et pour faire en sorte que le textile ne soit plus la deuxième industrie la plus polluante au monde après le pétrole. Ainsi, des chercheurs commencent à mettre au point des fibres alternatives (ce qu’on appelle la « fashion-tech »), comme de la soie artificielle aussi solide et souple que celle que fabrique naturellement une araignée.
Ce documentaire – un peu trop rythmé et dense – se regarde comme une longue chronique de mode et se veut un manifeste pour que l’industrie du textile retrouve une morale et une éthique.
Révolte dans la mode, de Laurent Lunetta et Ariel Wizman (France, 2018, 53 min).